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31/01/2008

Décomposer le prix du pétrole

Le baril à 100 dollars (USD), mais quelle horreur : il y a deux ans encore, les économistes auraient levé les bras au ciel en hurlant à la catastrophe... Aujourd'hui la crise est proche, mais elle n'a rien à voir avec le pétrole, et tout avec la finance. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a plusieurs façons d'aborder la question, la plus facile est de regarder les différentes composantes du prix.

Le pétrole aujourd'hui est produit dans une multitude de puits (des dizaines de milliers) qui ont chacun leur prix de revient ; on a coutume d'opposer les puits situés en Arabie Saoudite, pays gorgé de réserves, mais aussi d'infrastructures portuaires qui permettent d'acheminer le pétrole au tanker à bas prix, aux régions plus délicates comme le coeur de l'Asie Centrale, qui nécessitent l'implantation de milliers de km de coûteux pipelines (dont beaucoup sont encore en projet) avant de trouver leur premier client. Autrefois l'exploration pétrolière était reine, aujourd'hui la logistique impose sa loi. Le prix de revient du pétrole varie donc fortement entre 15 et 50 USD/baril : il est difficile de parler de prix mondial. On est donc amené à parler de "coût marginal de développement", c'est-à-dire le prix du pétrole techniquement le plus cher exploité à ce jour, qui montre les limites de la demande : s'il reste encore du pétrole à exploiter, celui qu'on extrait de nouveaux puits est devenu très cher. Même en Arabie Saoudite, le développement d'un nouveau champ coûte des dizaines de milliards de dollars, entre autres à cause de l'augmentation des matières premières, dont l'incontournable inox. Tout nouveau champ va rajouter sur le marché du pétrole plus cher qu'hier. Ajoutons quelques dollars pour le coût du fret éventuel (lui aussi en hausse), et nous livrons le pétrole à son futur client, la raffinerie.

Mais la production de pétrole brut est loin d'être un simple problème technique ; bien d'autres facteurs s'y joignent, comme l'intervention de l'OPEP. L'organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (en anglais OPEC) contrôle aujourd'hui 40 % environ du pétrole mondial, ce qui paraît peu pour un cartel, mais bien suffisant pour le pétrole, puisque tous les autres pays du monde produisent au maximum de leurs possibilités : l'OPEC, et plus précisément l'Arabie Saoudite, est la seule qui "en ait sous le pied" ; ainsi, à chaque fois que l'OPEC décide de restreindre sa production, les prix montent. Ce seul effet suffit aujourd'hui à maintenir le baril au-dessus de 55 USD, quel que soit son prix de revient. Mais ce n'est pas tout.

750c0261b7c7795d2e87f4b8d63d65be.gifDepuis peu, un parasite s'est introduit entre le baril et son consommateur : le boursier. L'OPEP a décidé de reprendre sa politique de restriction des productions en octobre 2006, juste au moment où le prix du baril, après un n-ième coup de yoyo consécutif à la guerre du Liban, entamait une nouvelle chute. Dans le cadre d'une coïncidence intéressante :), c'est ce moment-là que les boursiers ont choisi pour reprendre une spéculation intense sur le cours du baril, qui avait pratiquement disparu depuis les années 90. On le constate sur le graphe ci-contre, la courbe du bas indique le nombre de transactions effectuées chaque jour sur le pétrole à la bourse du NYMEX (merci à Boursorama) : le nombre de transactions s'envole en octobre 2006. Pourquoi ? sans doute parce qu'à cette date, le Dow Jones commence à être très cher, les autres matières premières sont devenues très chères, le pétrole était la seule commodité qui n'avait pas progressé ; le fait que l'OPEP signale sa volonté de réguler le prix du baril a donné le signal du départ pour un baril enfin considéré comme une valeur sûre : n'oublions pas qu'il avait, très artificiellement, chuté en 1985, en contradiction avec toutes les règles de l'économie libérale, ce qui avait dégoûté pour longtemps les boursiers de s'y intéresser. Aujourd'hui, pour un baril qui atteint sa raffinerie, il y a souvent 20 transactions boursières sur ce même baril. On se souviendra du courtier Richard Arens, qui a fait grimper brièvement le baril à 100 USD, pour le plaisir très personnel d'inscrire son nom dans l'histoire. Mais ce n'est pas tout.

Maintenant que nos boursiers sont bien installés sur cette valeur, ils la surveillent évidemment comme le lait sur le feu ; et comme ils sont presque tous étatsuniens, ils surreprésentent la pensée étatsunienne dans leur appréciation du risque. Un pipeline en panne en Alaska ? Hop, on gagne trois dollars. Des troubles "ethniques" au Nigeria, 3e fournisseur 20e1709b304154841fa030d5dcb0338d.gifdes USA ? hop, deux dollars de plus. Un cyclone s'approche du golfe du Mexique ? Et deux dollars de plus. Il s'en va ? Deux dollars de moins... Ces tensions supplémentaires, que l'on peut appeler géopolitiques, mais qui sont surtout psychologiques, contribuent à pousser le baril vers le haut. Mais ce n'est pas tout...

Depuis un an, le dollar s'est bien déprécié par rapport à l'ensemble des monnaies ; l'euro est passé de 1.20 USD à 1.45 USD depuis avril 2006, soit 20 % : les pays exportateurs avaient là une bonne raison de pousser les prix à la hausse pour contrebalancer cette perte sèche.

On a vu plus haut que l'OPEP avait manifesté sa volonté de réguler le prix au-dessus de 55-60 USD/baril. Maintenant que le prix est de l'ordre de 90 USD, ne va-t-elle pas rouvrir les robinets ? La réponse est perverse. Les Saoudiens dépendent à 100 % du parapluie militaire étatsunien pour leur survie ; ils dépendent tout autant de leur santé économique. Le prix plancher de 55 USD était donc censé satisfaire tout le monde, les producteurs qui voient les coûts de développement s'envoler d'un côté, et de l'autre les Etatsuniens qui assurent la paix dans le monde, et particulièrement dans le Golfe. Les Saoudiens étaient effectivement prêts à réguler le marché à la baisse en cas d'excès ; sauf que certains aspects ont été négligés :

  1. Ce n'est pas la faute des Saoudiens si les boursiers étatsuniens jouent sur le cours du baril, contribuant ainsi à lui faire prendre 30 % de valeur en trop
  2. La santé de l'OCDE, et des USA en particulier, n'a pas semblé souffrir de ce prix étonnant ; mieux encore, la crise économique qui s'annonce ne semble rien lui devoir
  3. L'OCDE n'a pris aucune mesure pour ralentir ou faire cesser cette spéculation qui ne rapporte qu'aux pays producteurs
  4. Si l'Arabie Saoudite est le poids lourd de l'OPEP, elle n'y fait quand même pas tout ce qu'elle veut, et plusieurs autres membres sont fort mécontents du glissement du dollar, qui représente souvent 95 % de leurs réserves de change : en 2007, certains pays exportateurs ont perdu plus d'argent qu'ils n'en ont gagné si l'on compte en euros
  5. Ce pays est assis sur le plus grand tas d'or de l'histoire : au cours actuel, les 280 Gbarils de réserves représentent 25 000 milliards de dollars : pour ce prix, on a le droit d'avoir un plan B.

Pour toutes ces raisons, il paraît peu probable que la réunion de l'OPEP annonce demain autre chose qu'un statu quo.

05:20 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pétrole, prix baril, barrel, dollar, USD, OPEC, OPEP | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook |

25/01/2008

Malbouffe financière

Alors qu'on nous explique qu'un homme seul (et même pas bien payé) peut faire perdre 4.9 milliards € en quelques semaines à l'une des premières banques mondiales dans le domaine des futures, peut-être est-il temps de se demander si les méthodes et les valeurs importées d'outre-atlantique sont les bonnes.

La France, dans toute la plénitude de sa culture culinaire, avait tranché depuis longtemps : la malbouffe, c'est nul. Avant de se demander si l'obésité, l'anorexie et tutti quanti avaient ou non leur source dans le mode de vie ou les méthodes culinaires, les français se sont cramponnés le mieux possible à leur foie gras et leur régime sud-ouest ; ce n'est que bien plus tard qu'on commença à trouver des vertus au verre de vin quotidien, à l'huile d'olive dispensée à bon escient, à la créativité comme support de variété, à l'imagination comme facteur d'équilibre : parfois, les préjugés se tiennent sans le savoir sur des fondements étonnamment solides.

Pour la finance, c'était l'inverse : les Anglo-saxons en général, et les Etatsuniens en particulier, nous étaient a priori supérieurs, qui avaient tout inventé : le théorème de Black & Scholes, le jeune trader Ferrariste à 25 ans et infarctussé à 30, le LMBO et son montage mezzanine, tout je vous dis - et même si les banques françaises se sont longtemps maintenues au sommet à grands coups de chiffre d'affaires, la technologie, c'était Merrill Lynch et KKR.

Sauf que nous oubliâmes tous une bonne vieille règle de l'évolution : le conjoncturel répété crée du structurel, et la croissance des déficits étatsuniens depuis l'ère des Reaganomics a conduit ce pays à vivre non pas au-dessus de ses moyens, mais carrément très au-dessus du sol, sur un petit nuage de maijuana financière toujours renouvelé par le reste de la planète, trop heureux de se faire des plus-values latentes instantanées plutôt que des vraies-values moins faciles mais plus réelles. Car nous avons tous participé : si les USA doivent 39 000 milliards de dollars, il a bien fallu une conspiration mondiale pour arriver à ce chiffre stupéfiant (ou stupide).

Mais comment peut-on devoir 39 000 GUSD ? (au moment où nous mettons sous presse, c'est passé à 45) Pas difficile, l'Etat seul est endetté à hauteur de 9 TUSD (obligé d'employer la notation scientifique, sinon il n'y a plus que des zéros dans ce billet), les ménages à hauteur de 15, le reste est assumé par les entreprises. Tous ces chiffres sont sans intérêt jusqu'à ce qu'on signale que le PIB US est de l'ordre de 13 TUSD, soit le quart de la dette. En très gros, si les USA décidaient de rembourser à hauteur de 10% de leurs revenus par an, il leur faudrait 40 ans, plus les intérêts, on pourrait envisager un remboursement total en un siècle. Personne ne rembourse cela. Quelle est la spécialité étatsunienne, dont ce pays est le premier producteur, et le premier exportateur mondial ? La dette.

Que faire ? Cesser de leur prêter ? Personne ne sait, ne peut, ne veut faire ça. Aujourd'hui le seul marché capable d'absorber les énormes liquidités qui circulent à la surface de la planète est le marché US, point barre. Ajoutons que des mesures de rétorsion à l'égard des USA entraîneraient rapidement une chute du dollar ; or, il représente toujours 63 % des réserves de change sur la planète : hors de question.

En regardant le problème par le tout petit bout de la lorgnette, il ressort que toute opération financière aujourd'hui contient de 50 à 80 % de dette étatsunienne. C'est donc bien l'ensemble du marché financier qui pose problème ; malgré les pitoyables appels à la clarté, la clairvoyance et la transparence (on se croirait à un meeting de fenêtriers) à Davos, absolument aucun pays, aucune organisation n'affiche une véritable volonté de mettre de l'ordre dans le marché de la finance internationale. Commencer par le taxer permettrait d'y voir un peu plus clair.

17:05 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : économie dollars USA dette | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook |

24/01/2008

Corriger ses erreurs

En 1898, Guillaume II soutenait en personne le projet de voie ferrée Berlin-Bagdad-Bassorah ; dix ans plus tard, l'amirauté britannique prenait la décision d'abandonner le charbon au profit du pétrole pour équiper ses navires de moteurs plus puissants, prononçant la première le mot "dépendance". A cette date, le pétrole et la guerre étaient déjà liés à jamais. Le reste du 20e siècle fut une longue suite de guerres menées grâce à, autour ou à cause du pétrole. Après 1945, seules deux nations se relevaient des décombres, mais une seule mettait la main sur le Moyen-Orient, source de pétrole, de richesse et de stabilité pour ceux qui le contrôlaient.

Ce contrôle faillit coûter cher en 1979 : la chute du Shah ne fut pas du tout la petite erreur enregistrée par l'Occident, mais bien une débâcle qui faillit dégénérer en une crise mondiale ; elle fut analysée aussi mal que possible. Croyant corriger cette erreur, les USA (aidés par leurs alliés dans la mesure des moyens) poussèrent l'Iraq à déclarer la guerre à l'Iran son voisin, pour lequel  il n'a guère d'amitié ; cette guerre fut entièrement souhaitée et pilotée par les USA et ses alliés. Ils alimentèrent sans cesse le régime de Saddam Hussein en armes et en dollars : "Let them bleed" ("Qu'ils saignent") fut le mot d'une administration étatsunienne qui n'aimait aucun des deux pays, jusqu'à un armistice douteux, laissant les deux pays dévastés.

8412b1d3a46ce8f2687bf2d852cb66c8.jpgToujours en 1979, l'URSS commettait une erreur tout aussi grossière en ratant le changement Iranien, à l'occsion duquel ils auraient pu mettre la main sur une partie importante du pétrole moyen-oriental ; croyant corriger cette erreur, l'URSS pénétra en Afghanistan ; les USA s'empressérent d'armer et d'entraîner les Afghans, avec entre autres les missiles sol-air qui firent tant de mal aux hélicoptères russes (le Stinger de 1981, photo National Geographic), par l'entremise de leurs agents, dont un certain Oussama Ben Laden. "Let them bleed" fut la justification de l'administration étatsunienne, pensant se venger au passage de l'aide russe au Viet-Nam.

L'Irak, gros exportateur de pétrole, constata à l'issue de la guerre que le baril était à son plus bas de tous les temps, lui interdisant de sauver son économie. Il découvrit également que le prix du baril faisait partie d'un plan plus général, destiné à affaiblir financièrement l'URSS, devenue momentanément premier exportateur mondial depuis le deuxième choc pétrolier ; et qu'en conséquence, ce prix était intouchable. Il découvrit également que l'OPEP avait perdu toute unité, que tous ses membres participaient joyeusement aux excès du marché, et que son voisin le Koweit, auquel l'Irak avait beaucoup emprunté pendant la guerre, exigeait d'être remboursé, tout en pompant perfidement dans un champ situé sous la frontière entre ces deux pays. Saddam Hussein exigea qu'on revînt aux principes des quotas ; que le pétrole soit majoré, que le Koweit arrête de lui voler son pétrole ; qu'il accepte de rééchelonner les paiements de sa dette. Il exigea tant et n'obtint rien, lui qui avait saigné son peuple pour faire plaisir à l'Occident... Il avertit tout le monde qu'il allait envahir le Koweit.

Tout le monde ? Et son frère : il annonça cette intention dans plusieurs réunions publiques, y compris à l'OPEP ; et trois jours avant d'entrer au Koweit, alors que les satellites montraient sans équivoque l'accumulation de ses troupes à la frontière, il demanda une entrevue avec l'ambassadrice des USA en Irak, April Glaspie, évidemment pas pour prendre le thé. Le contenu de cette réunion, rendu public par la suite, est une perfection d'incompréhension : le représentant de S. Hussein en sortit persuadé que les USA n'interviendraient pas. La suite est connue : pour corriger cette erreur, alors que cette guerre aurait dû être évitée avec quelques coups de téléphone, l'Occident vint écraser sous les bombes un pays déjà meurtri par une guerre qu'il l'avait forcé à mener.

L'installation en masse de troupes étatsuniennes sur le sol sacré provoqua l'ire de certains saoudiens, dont un certain Ben Laden, ex agent étatsunien, ex riche héritier d'une grande famille saoudienne liée à la famille Bush. Sa fatwah fut négligée par les USA ; les éléments actuels montrent que cette négligence aboutit à trois mille morts, et une terrible dégradation de l'image des Etats-Unis dans le monde. Croyant corriger cette erreur, les Etats-Unis se lancèrent dans deux guerres de trop, car aucune armée n'est conçue pour s'enliser dans un pays ennemi.

Les sondages actuels semblent montrer qu'un changement drastique de politique pourrait survenir aux USA à l'issue des élections de 2008 ; il ne semble pas qu'aucun des candidats ait une solution viable pour ces conflits ; mais nul doute que le (la) prochain(e) président(e) aura à coeur de corriger ces erreurs. On leur souhaite simplement que le fameux "Let them bleed" ne fasse pas boomerang.

09:05 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : moyen-orient, guerre, golfe, pétrole | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook |