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20/12/2013

Sud-Soudan : beau boulot les gars (II)

Il y a deux ans j'attirais l'attention de mes lecteurs sur la façon dont on a transformé un pays pauvre, le Soudan, en deux pays plus pauvres encore. Les grandes puissances en sont largement responsables, et la facilité avec laquelle les populations locales se sont fait manipuler laisse augurer que ce ne sera pas la dernière fois.

sudd-sudan-huts.jpgLe Sud-Soudan est grand comme la France et abrite moins de dix millions d'habitants. Ces habitants parlent 60 langues (dont la moitié en voie de disparition), et leur langue officielle est l'anglais, que seule l'élite parle, autant dire personne. Ils sont islamistes, chrétiens, animistes ; leur pays n'a jamais existé dans le passé. Leur drapeau est une copie du drapeau kenyan, surchargé d'un écusson turquoise rappelant les couleurs de la RDC, donc bien loin de celles du Soudan, clone du fanion de la révolution islamique de 1916. Dans une certaine mesure, ce pays reproduit les différences climatiques et agricoles de son grand frère : montagnes et fortes précipitations au sud, régime semi-aride au nord-ouest. Une fois que l'on a dit cela, quelle unité pour ce pays, où les seules voies de communication interne sont les fleuves ?

On a donc créé un pays sur un contour qui n'a jamais existé, avec des populations qui ne se rencontrent pas (si ce n'est pour le pillage), qui ne se comprennent pas, qui vivent différemment et loin les unes des autres, et qui prient différents dieux... Petit détail sordide : le Sud-Soudan a hérité de son frère le partage d'une dette de 38 milliards de dollars (Club de Paris, IMF et Banque Mondiale). Vous imaginez démarrer dans la vie avec, en indivision avec un grand frère que vous haïssez, une dette de 38 milliards ? Mais pourquoi diable a-t-on créé ce pays ?

South-Sudan-Men.jpgPour qu'il soit manipulable, tout simplement. Aujourd'hui, il suffit d'un conteneur de Kalashnikovs (un million de dollars), et quelques primes aux meneurs (100 000 dollars) pour générer des troubles que le pouvoir central (si j'ose dire) ne saura réprimer. Et après, il est facile de demander au président de bien vouloir accepter ceci ou cela. Créer le Sud-Soudan, c'était le vouer de façon définitive aux affrontements des grandes puissances. Je ne vois aucune porte de sortie pour ce pays.

A l'époque où la France était installée en Afrique, où elle enseignait aux petits Africains que leurs ancêtres étaient gaulois, la France avec sa lenteur, son paternalisme, sa ringardise et sa culture millénaire faisait moins de mal que ce que l'on fait aujourd'hui aux Africains.

 

PS : Le FT est allé sur place.

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16/11/2012

Hirondelle à tiroirs

Une hirondelle ne fait pas le printemps, et l'IEA (Agence Internationale de l'Energie) encore moins. Sa déclaration fracassante de ce mois-ci, selon laquelle les Etats-Unis verront leur production nationale d'hydrocarbures augmenter jusqu'à les rendre auto-suffisants en 2035 donne envie de hausser les épaules - au mieux. A y regarder de plus près, il faut se souvenir que l'IEA n'est en rien une agence de prédiction (elle aurait fait faillite depuis longtemps), et encore moins un repaire de spécialistes engoncés dans leur technocratie : c'est un repaire d'acheteurs et de lobbyistes.

La politique internationale des Etats-Unis est influencée par la libre disposition du pétrole dans le monde depuis les années 1930 : d'abord un simple atout industriel et financier, le pétrole est devenu à partir de 1938 et le premier embargo pétrolier sur le Japon une arme de domination, au point de déclencher la Guerre du Pacifique à lui seul. Aujourd'hui, même si beaucoup de choses ont changé, les Etats-Unis souffrent toujours d'une dépendance au pétrole qu'ils n'ont fait qu'entretenir, longtemps persuadés qu'ils étaient bénéficiaires nets de cette dépendance.

Mais quelque chose a changé aux alentours du 11 septembre 2001, au point que le président américain de l'époque a déclaré un peu plus tard "America is addicted to oil", contatant amèrement que son pays commençait à payer cher la richesse de certains (qui elle-même avait contribué à son élection). Je rappelle que le 21e siècle sera non pas le siècle de l'esprit ou toute autre chose romantique, mais le siècle des contradictions.

Pourtant les vieux mécanismes, bien ancrés dans la nature et la culture des peuples, ne peuvent évoluer bien vite, et la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient ne pouvait changer du jour au lendemain. Aussi cette région du monde resta-t-elle inféodée à l'insécurité et la désunion qui rendent le contrôle des flux pétroliers bien plus aisés pour l'occident en général et les Etats-Unis en particulier.

Dix ans plus tard, les choses changent lentement : l'Occident, durement secoué par une crise financière qu'il a entièrement causée, est contraint de revoir les choses à la baisse. Revoir quoi ? Eh bien, tout, à vrai dire. Revoir les revenus, les budgets militaires, les capacités de projection, et même, horreur suprême, les consommations. La doctrine militaire étatsunienne était jusqu'à maintenant imprégnée de la notion "Deux guerres et demi" : les Etats-Unis avaient les capacités diplomatique, militaire et financière d'entretenir deux guerres et demi dans le monde. Ce ne sera bientôt plus le cas. Mais où vont-ils acheter leur pétrole dans ces conditions ?

Les progrès techniques permettant d'améliorer la production d'hydrocarbures continuent de se faire jour ; la fracturation hydraulique, entre autres, a permis d'accéder à des réserves de gaz qui jusque là ne présentaient pas d'intérêt économique. Il paraît douteux que cette technique, une fois appliquée aux liquides et non plus au gaz, améliore de façon aussi spectaculaire les productions de pétrole brut ; mais passons : l'idée est bien que, année après année, les améliorations techniques continuent d'augmenter les réserves prouvées à périmètre constant, le Bakken en est un exemple de taille mondiale. Ce n'est en rien une surprise pour les spécialistes ; en revanche c'est bien la première fois que l'on prétend que ces améliorations, en principe valables dans tous les pays, vont favoriser les Etats-Unis en tête.

Rappelons-nous alors la spécificité bien américaine qui a conduit à une fantastique expansion du secteur pétrolier : le propriétaire du sol est également propriétaire du sous-sol, et chaque particulier a donc un intérêt financier évident à ce qu'on fore sous son jardin. Pourtant, on voit mal comment une unique technologie nouvelle pourrait renverser un processus historique  installé depuis 1970, à savoir le déclin de la production nationale américaine ; non seulement le renverser, mais permettre d'atteindre de nouveaux sommets.

C'est que l'IEA s'est enfin préoccupée d'une chose pourtant évidente : les hydrocarbures sont devenus interchangeables : gaz, pétrole, charbon, sables bitumineux, toutes ces sources finissent par s'agrèger, et l'on va tellement augmenter la part du gaz et du charbon dans l'avenir que les besoins en pétrole proprement dit vont stagner - à vrai dire, ils stagnent depuis dix ans, et l'IEA vient de l'admettre.

On a donc une sorte de cercle vertueux pour les Etats-Unis : moins de ressources financières, stagnation possible de la consommation de liquides, recours à des sources nationales un peu plus disponibles, tout cela indique une dépendance décroissante des Etats-Unis vis-à-vis du pétrole importé, et principalement du Moyen-Orient. Eh oui, j'ai bien employé le terme "décroissance" en parlant des Etats-Unis.

L'interventionnisme étatsunien au Moyen-Orient va-t-il pour autant cesser ? Certainement pas tout de suite, en diplomatie rien n'est instantané. En revanche, il est probable que nous verrons une décroissance lente de celui-ci, que l'on peut déjà constater par petites touches.

La nature a horreur du vide, les diplomates encore plus : avec la réduction lente mais annoncée de l'influence américaine au Moyen-Orient, qui va prendre la place ? Certainement pas la vieille Europe, plus désunie et inefficace que jamais. Alors il ne reste que... la Chine ? Vous savez, ce pays qui vient de se doter d'un nouveau président, ingénieur en génie chimique ?

La Chine apprécie autant la diplomatie à haute performance (DHP) qu'elle abhorre l'interventionnisme coûteux. Elle n'a pas non plus la même sensibilité que les Etats-Unis vis-à-vis d'Israël. Elle est historiquement absente de cette région, et elle a déjà fait d'autres choix, particulièrement en se tournant vers l'Asie centrale. Alors qu'une voie royale s'ouvre devant elle, il ne me paraît pas exclu qu'elle se donne un peu de temps avant d'aller mettre le doigt dans cet engrenage, alors qu'elle n'a toujours pas réglé sa domination sur son environnement immédiat. Les divers printemps arabes, qui pointent eux aussi vers un nouveau brassage des cartes, brillent par l'absence d'intervention des divers services secrets, d'où qu'ils viennent : en fait personne n'a de solution.

L'IEA et son message pétrolier n'annoncent donc pas grand-chose sur un plan industriel, en revanche il semble que les multiples forces à l'oeuvre au Moyen-Orient voient leur acteur majeur fatigué de la partie. Même un mauvais arbitre vaut mieux que pas d'arbitre du tout.

17:14 Publié dans Economie, Energies fossiles, Géopolitique, Pétrole | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook |

28/01/2012

Sud-Soudan : beau boulot les gars !

Pendant des années, le Soudan a été en Occident la cible des médias, des people, et des ONG. Retenons la leçon, quand ces 3 acteurs sont présents, il faut s'inquiéter. Car le Soudan se contentait jusque-là d'être un pays pauvre comme on en trouve beaucoup en Afrique, hésitant entre pays sahélisé, pays historique et dictature sanglante. Et puis le Sud-Soudan a fait sécession, créant un 55e état africain. C'est quoi ce nom, Sud-Soudan ? Si cette région a fait sécession, n'est-ce pas pour retrouver une identité oppressée ?

Si l'on regarde plus en arrière, on se rend compte que cette région d'Afrique présente de solides particularités, qui l'opposent systématiquement à ses voisins du nord. Située à l'entrée nord de la zone des Grands Lacs à laquelle elle s'apparente par son climat, sa faune et sa flore, elle abrite et contrôle une grande partie du Nil Blanc. Principalement chrétienne et animiste, elle est peuplée d'environ 10 millions d'habitants pour une surface équivalente à la France. Avec tous ces avantages, on se demande comment cette région est si peu peuplée.

sudan, darfur, clooneyDepuis que les Européens se sont occupés de l'Afrique, cette région a fait l'objet de convoitises, de partages, et finalement d'association contre nature. Les Anglais ont toujours été les champions du Haut-Nil, et on créé une première entité nommée Equatoria en 1870, sous couvert du pouvoir égyptien ; elle est ensuite passée de mains en mains, un moment administrée par les Anglais depuis Le Caire, ce que les Pharaons eux-mêmes n'avaient pas fait, pour finalement échouer dans le giron du Soudan au départ des Britanniques en 1956, garants une fois de plus de laisser derrière eux un pays instable. Dès cette date, la guerre civile fit rage, de façon presque continue entre 1955 et 2005, faisant un nombre total de victimes inconnu, mais compris entre 2 et 7 millions de morts.

L'éviction des Britanniques laissait la place à tout le monde, à commencer par d'autres pays européens, France et Italie en tête, qui commencèrent à y chercher du pétrole dans les années 1970, sans résultat intéressant. C'est finalement Chevron qui en trouva des quantités commerciales au début des années 1980. Simultanément, le pays traversait une dépression économique qui poussa le gouvernement à accorder des permis de recherche dans le sud-Soudan, tout en en conservant les bénéfices, au grand dam des populations du sud, ce qui exacerba la guerre civile. En 1990, Chevron, face à une situation trop instable, et malgré des centaines de millions de dollars dépensés, se retire.

La décennie 1990 restera dans l'histoire du pétrole comme la décennie noire où le baril ne fut jamais aussi bas ; ce n'était guère le moment d'investir ; et pourtant, qui entreprend, en 1997, de construire un pipeline de 1 600 km pour relier les champs pétrolifères du Sud-Soudan à port-Soudan ? GNPOC, un consortium mené par China National Petroleum Corporation, l'Empire du Milieu étend déjà son influence au plus profond de l'Afrique.

4 ans plus tard, c'est Septembre 2001, événement qui aurait sans doute été fort différent dans ses conséquences avec un autre président aux commandes des USA ; le besoin en pétrole est toujours plus pressant, mais en plus le combat longtemps annoncé entre l'actuel maître du monde, et la future plus grande économie du monde, a commencé. Les USA, qui ne veulent certainement pas affronter directement la Chine, emploient une méthode moins risquée et moins chère, la propagande. Vieille méthode, peinture neuve, on y ajoute des people comme George Clooney pour faire viral (lire : pas cher et destiné aux gogos) et des ONG pour faire propre, et on emploie le terme "Darfour" pour ne pas avouer que le vrai sujet est le Sud-Soudan. Mais l'idée est bien d'interdire aux Chinois l'accès qu'ils se sont tranquillement construit au pétrole du sud, en supportant la sécession du sud, ce qui donnerait l'opportunité aux USA de reprendre l'avantage. Ah, j'oubliais un quatrième acteur, vraiment hi-tech et qui fait plaisir aux Geeks : Google (c'est américain Google ?).

soudan,sudan,pétrole,oil,pipeline,china,chine,usa,ukLa sécession est donc prononcée en 2011, saluée par des cris de joie dans nombre de pays occidentaux, montrant comme les Européens, qui ne sont en rien partie à cette bataille, sont manipulables, et montrant également qu'une fois de plus, personne n'a regardé la carte. Cette sécession transforme un pays pauvre en deux pays plus pauvres encore. C'est quoi l'idée ? 50 ans après le départ des Européens, les Africains se débrouillent pour faire pire ?

La carte, la voilà, comme disait Napoléon... Le long préambule ci-dessus est presque inutile quand on distingue les champs pétrolifères, au sud, et le pipe chinois, qui les relie à Port-Soudan, au nord. Il se passe quoi si les deux pays ne parviennent pas à un accord sur le partage des bénéfices obtenus par ce pétrole ?

C'est pas compliqué, le pétrole s'arrête de couler, c'est ce que vient d'annoncer le gouvernement du Sud-Soudan.

Beau boulot les gars.

La suite de cette triste histoire est ici.

PS : Les gouvernements Sud-Soudanais et Kenyans viennent de signer un MoU en vue de construire un pipe qui passerait sur le sol Kenyan. Les sud-soudanais ne sont pas sortis.

PPS : Le 15 mars 2013, le gouvernement du Sud-Soudan annonce la reprise de la production pétrolière.