08/02/2008
OPEP : Qui sont-ils ?
L'OPEP est née, un beau jour de 1960, au coeur d'une vague victorieuse de découvertes pétrolières et d'euphorie économique, qui paradoxalement conduisit les Etats-Unis à instaurer un régime de quotas (Mandatory Oil Import Quota Program, MOIP), afin de protéger ses petits producteurs : étrange époque où le champion du libre-échange prenait des décisions unilatérales... Ces quotas firent chuter le prix du pétrole, et dans certaines régions du monde, les majors décidèrent en choeur une diminution du prix du baril. Ce dernier, à 2 dollars, n'était pourtant pas bien cher, mais il perdit quand même 25 cents en une nuit.
Comment s'étonner que les pays producteurs aient envie de faire de même, c'est-à-dire de se grouper pour se défendre. C'est ainsi que 5 pays, l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Irak, le Koweit et le Venezuela, se groupèrent pour tenter d'établir une politique commune ; ils furent peu à peu rejoints par 8 autres pays, tous non membres de l'OCDE : ce club fut sans doute l'une des premières tentatives de pays du Sud (on disait à l'époque "pays sous-développés") de s'organiser pour pallier leurs carences mutuelles.
Car des carences ils en avaient : sans personnel formé, sans industrie sous-jacente, et parfois sans la population suffisante, ces pays étaient incapables de procéder à la recherche et l'extraction pétrolière par eux-mêmes. Quand à écouler le précieux liquide, les seuls marchés étaient purement occidentaux ; ces pays étaient donc pieds et poings liés, avec en plus un noeud coulant et un couteau sous la gorge. Nous traiterons la politique de l'OPEP dans une prochaine rubrique, mais intéressons-nous déjà aux personnages qui aujourd'hui représentent leurs pays au sein de ce club très fermé.
Pratiquement tous sont de bons élèves : qu'ils soient avocats, économistes ou anciens chefs d'entreprise, le Bac+5 est bien porté à l'OPEC, généralement issu d'universités américaines. Ahmed Zaki Yamani, plus connu sous le nom de "Sheikh Yamani", préfigura sans doute cette tendance. Fils et petit-fils de grand Mufti, il fit des études de droit à l'Université de New York. puis à Harvard, et se retrouva, un peu par hasard, en charge d'une OPEC qui venait à peine d'être créée. Entre temps, il fit l'objet, avec les autres délégués de l'OPEC, d'une prise d'otages médiatique exécutée par le terroriste Carlos. Il fut sans doute la personnalité la plus connue de l'OPEC, pour sa prise de position "dure" en 1973 ; il devait faire les frais de la politique laxiste instaurée en 1983.
Hussain Al-Shahristani, actuel ministre du pétrole en Irak, n'a pas eu une destinée moins spectaculaire. Après deux doctorats obtenus à l'université de Toronto (un seul ça commence à être d'un commun), dont un en chimie nucléaire, c'est tout naturellement qu'il rejoint cette industrie, au service de l'Iraqi Atomic Energy Commission ; il se fit connaître plutôt pour les applications pacifiques des rayonnements ionisants. En 1979, Sadam Hussein prit le pouvoir, et rapidement donna l'instruction d'obtenir du plutonium de qualité militaire ; Al-Shahristani refusa, et fut immédiatement démis de ses fonctions, arrêté, emprisonné, et torturé. En 1991, après 12 années de détention, il profita du bombardement de Baghdad pour s'échapper d'Abu Ghraib, et tenta de participer au soulèvement avorté des populations du nord, puis quitta le pays. Il s'installa à Londres, où il créa l'Iraqi Refugee Aid Council, pour venir en aide aux réfugiés politiques Irakiens. Après une période troublée où il apporta sa contribution à l'idée que S. Hussein disposait d'armes de destruction massive, il retourna dans son pays à la faveur de la destruction du régime par les Etatsuniens. On lui proposa apparemment le poste de premier ministre, qu'il refusa. Aujourd'hui, parmi les multiples problèmes auxquels il doit faire face, il est confronté à la volonté d'autonomie de la région kurde, dont les représentants tentent de mettre la main non seulement sur la région de Mossoul, mais aussi sur celle de Kirkouk, qui recèle les plus grandes réserves de pétrole du pays. A l'extérieur, il est confronté essentiellement aux Etatsuniens et leurs compagnies pétrolières.
Il paraît compréhensible que les expériences de ces hommes aient une influence sur leurs objectifs.
Sources : Wikipedia, CNS, OPEC, CNN, MSNBC, Encyclopedia of economics, Times.
14:28 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : OPEC, OPEP, sheik Yamani, Sharistani, pétrole, oil | | del.icio.us | | Digg | Facebook |
31/01/2008
Décomposer le prix du pétrole
Le baril à 100 dollars (USD), mais quelle horreur : il y a deux ans encore, les économistes auraient levé les bras au ciel en hurlant à la catastrophe... Aujourd'hui la crise est proche, mais elle n'a rien à voir avec le pétrole, et tout avec la finance. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a plusieurs façons d'aborder la question, la plus facile est de regarder les différentes composantes du prix.
Le pétrole aujourd'hui est produit dans une multitude de puits (des dizaines de milliers) qui ont chacun leur prix de revient ; on a coutume d'opposer les puits situés en Arabie Saoudite, pays gorgé de réserves, mais aussi d'infrastructures portuaires qui permettent d'acheminer le pétrole au tanker à bas prix, aux régions plus délicates comme le coeur de l'Asie Centrale, qui nécessitent l'implantation de milliers de km de coûteux pipelines (dont beaucoup sont encore en projet) avant de trouver leur premier client. Autrefois l'exploration pétrolière était reine, aujourd'hui la logistique impose sa loi. Le prix de revient du pétrole varie donc fortement entre 15 et 50 USD/baril : il est difficile de parler de prix mondial. On est donc amené à parler de "coût marginal de développement", c'est-à-dire le prix du pétrole techniquement le plus cher exploité à ce jour, qui montre les limites de la demande : s'il reste encore du pétrole à exploiter, celui qu'on extrait de nouveaux puits est devenu très cher. Même en Arabie Saoudite, le développement d'un nouveau champ coûte des dizaines de milliards de dollars, entre autres à cause de l'augmentation des matières premières, dont l'incontournable inox. Tout nouveau champ va rajouter sur le marché du pétrole plus cher qu'hier. Ajoutons quelques dollars pour le coût du fret éventuel (lui aussi en hausse), et nous livrons le pétrole à son futur client, la raffinerie.
Mais la production de pétrole brut est loin d'être un simple problème technique ; bien d'autres facteurs s'y joignent, comme l'intervention de l'OPEP. L'organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (en anglais OPEC) contrôle aujourd'hui 40 % environ du pétrole mondial, ce qui paraît peu pour un cartel, mais bien suffisant pour le pétrole, puisque tous les autres pays du monde produisent au maximum de leurs possibilités : l'OPEC, et plus précisément l'Arabie Saoudite, est la seule qui "en ait sous le pied" ; ainsi, à chaque fois que l'OPEC décide de restreindre sa production, les prix montent. Ce seul effet suffit aujourd'hui à maintenir le baril au-dessus de 55 USD, quel que soit son prix de revient. Mais ce n'est pas tout.
Depuis peu, un parasite s'est introduit entre le baril et son consommateur : le boursier. L'OPEP a décidé de reprendre sa politique de restriction des productions en octobre 2006, juste au moment où le prix du baril, après un n-ième coup de yoyo consécutif à la guerre du Liban, entamait une nouvelle chute. Dans le cadre d'une coïncidence intéressante :), c'est ce moment-là que les boursiers ont choisi pour reprendre une spéculation intense sur le cours du baril, qui avait pratiquement disparu depuis les années 90. On le constate sur le graphe ci-contre, la courbe du bas indique le nombre de transactions effectuées chaque jour sur le pétrole à la bourse du NYMEX (merci à Boursorama) : le nombre de transactions s'envole en octobre 2006. Pourquoi ? sans doute parce qu'à cette date, le Dow Jones commence à être très cher, les autres matières premières sont devenues très chères, le pétrole était la seule commodité qui n'avait pas progressé ; le fait que l'OPEP signale sa volonté de réguler le prix du baril a donné le signal du départ pour un baril enfin considéré comme une valeur sûre : n'oublions pas qu'il avait, très artificiellement, chuté en 1985, en contradiction avec toutes les règles de l'économie libérale, ce qui avait dégoûté pour longtemps les boursiers de s'y intéresser. Aujourd'hui, pour un baril qui atteint sa raffinerie, il y a souvent 20 transactions boursières sur ce même baril. On se souviendra du courtier Richard Arens, qui a fait grimper brièvement le baril à 100 USD, pour le plaisir très personnel d'inscrire son nom dans l'histoire. Mais ce n'est pas tout.
Maintenant que nos boursiers sont bien installés sur cette valeur, ils la surveillent évidemment comme le lait sur le feu ; et comme ils sont presque tous étatsuniens, ils surreprésentent la pensée étatsunienne dans leur appréciation du risque. Un pipeline en panne en Alaska ? Hop, on gagne trois dollars. Des troubles "ethniques" au Nigeria, 3e fournisseur des USA ? hop, deux dollars de plus. Un cyclone s'approche du golfe du Mexique ? Et deux dollars de plus. Il s'en va ? Deux dollars de moins... Ces tensions supplémentaires, que l'on peut appeler géopolitiques, mais qui sont surtout psychologiques, contribuent à pousser le baril vers le haut. Mais ce n'est pas tout...
Depuis un an, le dollar s'est bien déprécié par rapport à l'ensemble des monnaies ; l'euro est passé de 1.20 USD à 1.45 USD depuis avril 2006, soit 20 % : les pays exportateurs avaient là une bonne raison de pousser les prix à la hausse pour contrebalancer cette perte sèche.
On a vu plus haut que l'OPEP avait manifesté sa volonté de réguler le prix au-dessus de 55-60 USD/baril. Maintenant que le prix est de l'ordre de 90 USD, ne va-t-elle pas rouvrir les robinets ? La réponse est perverse. Les Saoudiens dépendent à 100 % du parapluie militaire étatsunien pour leur survie ; ils dépendent tout autant de leur santé économique. Le prix plancher de 55 USD était donc censé satisfaire tout le monde, les producteurs qui voient les coûts de développement s'envoler d'un côté, et de l'autre les Etatsuniens qui assurent la paix dans le monde, et particulièrement dans le Golfe. Les Saoudiens étaient effectivement prêts à réguler le marché à la baisse en cas d'excès ; sauf que certains aspects ont été négligés :
- Ce n'est pas la faute des Saoudiens si les boursiers étatsuniens jouent sur le cours du baril, contribuant ainsi à lui faire prendre 30 % de valeur en trop
- La santé de l'OCDE, et des USA en particulier, n'a pas semblé souffrir de ce prix étonnant ; mieux encore, la crise économique qui s'annonce ne semble rien lui devoir
- L'OCDE n'a pris aucune mesure pour ralentir ou faire cesser cette spéculation qui ne rapporte qu'aux pays producteurs
- Si l'Arabie Saoudite est le poids lourd de l'OPEP, elle n'y fait quand même pas tout ce qu'elle veut, et plusieurs autres membres sont fort mécontents du glissement du dollar, qui représente souvent 95 % de leurs réserves de change : en 2007, certains pays exportateurs ont perdu plus d'argent qu'ils n'en ont gagné si l'on compte en euros
- Ce pays est assis sur le plus grand tas d'or de l'histoire : au cours actuel, les 280 Gbarils de réserves représentent 25 000 milliards de dollars : pour ce prix, on a le droit d'avoir un plan B.
Pour toutes ces raisons, il paraît peu probable que la réunion de l'OPEP annonce demain autre chose qu'un statu quo.
05:20 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pétrole, prix baril, barrel, dollar, USD, OPEC, OPEP | | del.icio.us | | Digg | Facebook |