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03/01/2014

Hugo, poète de plage.

Ecrivain, dramaturge, romancier, pamphlétaire, homme politique, pair de France, n'en jetez plus ! Hugo fut tout cela, et plus encore, puisque certains l'affublent du nom sacré de poète. Je n'en dirai qu'un mot, ou plutôt, deux vers :

Le quatrième, monstre épouvantable et fier,
Était un grand lion des plages de la mer.

Et oui, vous avez bien lu, des plages de la mer. Pourquoi cette formule ? Déjà, parce que les plages de montagne ça ne marchait pas, et surtout parce que cette originale association de mots, aucun auteur ne l'avait jamais osée - Hugo l'a fait. On s'interroge quand même : si l'on peut rire de tout, peut-on tout écrire, y compris le pléonasme le plus lourd, la formule la plus infantile, quand on se prend pour un poète ?

L'imagination du poète lui permet tout, lui autorise tout - à condition toutefois qu'elle évoque quelque chose pour le lecteur. Un lion des plages ? J'avoue que j'ai du mal. Quand Edgar Rice Burroughs inventa Tarzan en 1912, il n'était jamais allé en Afrique, et n'avait lui non plus jamais vu de lion. Pourtant, les aventures de son héros sont séduisantes - au moins pour les enfants. Et surtout, il n'a pas osé le coup du lion des plages, sans doute parce qu'il ne se prenait pas pour un poète. Pour moi, sur les plages, on trouve des coquillages, des crabes, des touristes et des déchets de plastique. Et j'en ai vu des plages. Des lions de plage ? Jamais.

Comment un vers aussi pourri peut-il avoir été écrit ? Pas seulement écrit, mais travaillé, inclus dans un texte, envoyé à l'éditeur et imprimé ? Faisons une enquête à décharge. Le premier vers en effet semble tenir debout : "épouvantable et fier" sonne bien, il y a du rythme, du souffle, et l'on pardonne à Hugo de traiter un lion de "monstre" s'il s'agit de le rendre plus grand, plus fort et plus terrible. Donc on a un bon départ de paragraphe, mais hélas, après, il faut faire avec, et qu'est-ce qui rime avec fier ? Mer.

Hélas, trois fois hélas, voilà le coeur du problème. Hugo est-il nul ? Non. Sans imagination ? Non plus. Non, Hugo est fatigué, épuisé, vidé de toute création, au bout du rouleau. Non, il ne s'agit pas d'une oeuvre de jeunesse pliée à la va-vite, ou d'un ouvrage de commande à moitié rédigé par un nègre. Ne nous y trompons pas, il s'agit bien de La Légende des Siècles, une oeuvre de maturité que certains saluent comme son plus grand poème. Mais en 1859, Hugo qui veut encore croire que sa plume court sur le papier en y traçant des merveilles, Hugo qui a été mille fois pressé comme un citron n'a plus rien dans le cigare et se sert, comme les autres, d'un dictionnaire de rimes.

Croyez-moi, je n'ai rien contre : les plus grands l'ont fait, qui nous ont pourtant délecté de merveilles. Mais à condition d'y mettre un peu du sien, une manière, une sauce, une envolée, que sais-je, un désir ! Mais là, rien. Plages de la mer. Pire encore, Hugo qui n'en peut plus de compter ses pieds et de tirer à la ligne, abuse de la diérèse pour arriver à... 11 pieds ? Malheur, il faut encore un pied, et le lion qui était un monstre se trouve rétrogradé de "lion", au symbole fort, à "grand li-on", à la sonorité ridicule. Et voilà la terreur du petit versificateur épuisé qui se réalise : un vers ridicule dans une épopée.

Mais tout, la gloire, la vanité, l'habitude, l'éditeur famélique, les factures impayées, les amis hypocrites, les concurrents prêts à tout, tout pousse pour que ce vers soit écrit, publié, célébré. Rien n'oblige à ce qu'il soit lu, alors Hugo en a accepté la paternité, ou plutôt la culpabilité. Mais quand on est un poète, on s'arrête juste avant. Alors Hugo fut tout ce qu'on veut, mais non, pas un poète.

Hugo, poète de plage.

O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !

 

Les lions, texte intégral.

11:33 Publié dans Humour, Livre | Lien permanent | Commentaires (1) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook |