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04/10/2014

La mort du capitalisme

Tant de gens ont réclamé la mort du système capitaliste, le chargeant de tous les maux de notre société. C'était tellement facile : d'abord accuser un mot, c'est moins dangereux que d'attaquer les responsables, et de plus les Français sont notoirement ignorants en économie, et se réjouissent plutôt de vilipender un système auquel ils ne comprennent pas grand-chose.

Pourtant le capitalisme était plutôt une chose simple. Il faut partir d'une prémisse : un individu (le "capitaliste") se trouve disposer d'un excédent de liquidités (du fric dont il n'a pas l'usage). Par un mécanisme délicieusement social, il décide de confier cet excédent à un entrepreneur qui pense avoir un marché, un procédé de fabrication, des moyens de distribution, bref un projet. Ce projet une fois mis en route génère des investissements, des embauches, des taxes et, ultimement, des bénéfices rémunérant notre capitaliste qui, le pauvre, devra trouver un nouveau projet pour se débarrasser de tout cet argent. Plusieurs cycles sont ainsi créés : le capital est rémunéré, des emplois sont créés, les infrastructures s'améliorent, le niveau de vie augmente, l'offre de biens et services se diversifie ; cerise sur le gâteau, ces cycles s'amorcent seuls et s'auto-entretiennent, que demande le peuple.

Au dix-neuvième siècle, les préoccupations sociales étaient proches de zéro ; l'industrialisation à marche forcée en a largement profité, qui faisait travailler les Français six jours sur sept, douze heures par jour, sans égard pour leur vie. Est-ce le capitalisme qui a fait cela ? Non, c'était bien la société de l'époque qui n'avait que mépris pour le peuple et ses malheurs. Le capitalisme est un mot qui ne saurait agir, seuls nos responsables sont coupables - et ultimement, le peuple qui se laisse exploiter. C'est à cette époque que les peuples ont cru pouvoir identifier leurs malheurs sociaux au capitalisme ; rien n'était plus faux, car c'est toujours l'homme qui exploite l'homme.

Dans les années 1980, plusieurs mécanismes économiques se sont ligués pour générer un soudain afflux de liquidités comme on n'en avait jamais vu dans le passé. Le joli cycle vertueux décrit ci-dessus ne trouvait plus assez de projets pour accueillir toutes ces sommes ; mais pas d'inquiétude, c'est justement à cette époque que les instruments financiers, inventés quelques années plus tôt, ont fourni un point de chute inespéré à ces liquidités, en les rémunérant parfois même sans les immobiliser.

Signalons au passage que cette révolution s'est faite dans des conditions sociales proches de celles évoquées plus haut au 19e siècle : ce nouveau marché économique échappe à l'impôt, au contrôle des régulateurs, au regard du peuple. En gros, toutes les erreurs sont répétées, mais à grande vitesse.

Et soudain, tous les cycles vertueux dont le capitalisme pouvait se prévaloir, et qui aboutissent à l'ordre, la paix et l'augmentation du niveau de vie, sont rompus.

La sphère financière en effet, travaillant sans taxe, génère quasi systématiquement des revenus supérieurs à l'activité industrielle, quelle qu'elle soit. Dans ces conditions, pourquoi investir dans l'industrie ? Pourquoi créer des usines ? Pourquoi créer des emplois ? 

Ainsi, seules les industries générant des bénéfices exagérés (luxe, sécurité, lien politique) parviennent à se maintenir ; toutes les autres s'étouffent. La sphère financière en effet attire à elle les rares bénéfices réalisés, et ne les rend jamais. Les liquidités n'ont jamais été aussi volumineuses, mais l'industrie n'est plus une cible intéressante.

Début 19e, l'agriculture était reine, et les peuples puissants à l'époque avaient le ventre plein. L'industrie a-t-elle tué l'agriculture ? Pas du tout, ces mêmes pays sont d'ailleurs toujours des pays agricoles, mais la puissance associée a quasiment disparu. Aujourd'hui, l'industrie ne va pas mourir non plus, elle voit simplement sa puissance disparaître. Quand au capitalisme, profondément ancré dans l'industrie par son cycle investissement-rendement, lui aussi voit sa puissance disparaître en ce moment même.

Les nouveaux puissants du 21e siècle sont donc les financiers, ceux qui manipulent des milliards chaque jour sans jamais les voir, n'investissent dans rien, et ne risquent que des sommes qui ne sont pas les leurs. Le bon vieux capitaliste du 20e siècle, qui risquait son propre argent dans des aventures industrielles dont il devait au préalable comprendre les tenants et aboutissants avant de signer, nous paraît bien ringard. Au contraire, nos modernes financiers ne font courir de risques qu'à l'argent des autres, ne connaissent rien aux produits qu'ils négocient, ont un cycle économique de trois minutes. Que demande le peuple ?

Comment en est-on arrivé là ? Encore une fois, par les mêmes erreurs, négligence et ignorance que lors de la révolution industrielle du 19e siècle. L'ignorance (des peuples comme des leaders) semble, à l'heure d'internet pour tous, condamnable. Pourtant, c'est la cause première de nos malheurs, et l'on se surprend à découvrir que dans notre beau pays, seul un nombre ridicule de députés dispose d'une quelconque connaissance en économie moderne. En revanche, les avocats et autres spécialistes en histoire de l'art...

On a le droit d'être ignorant, car il reste possible de s'adjoindre le savoir et les capacité des spécialistes. Qu'avons-nous fait dans ce domaine ? Toujours rien, et l'on peine à découvrir un texte de loi dans lequel la réglementation, présente ou future, du marché des instruments financiers soit simplement évoquée.

Quand aux erreurs, nous sommes trois fois coupables : refuser de taxer les transactions financières, ou même de les surveiller, c'est donner libre cours à toutes les pratiques, y compris mafieuses, c'est se priver de ressources budgétaires, c'est déséquilibrer toute l'économie au profit du seul domaine financier.

Laisser mourir le capitalisme, je veux bien, mais pour mettre quoi à la place ?

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