15/03/2014
Crimée : beau boulot les gars.
L'Ukraine n'a jamais fait partie de l'Europe. Il faut entendre les Ukrainiens dire que eux seuls sont les vrais Russes, alors que les dirigeants actuels de la Grande Russie ne sont que des Moscovites (lire : "des Suédois") qui ont réussi. La Crimée a appartenu à tout le monde et son frère.
La Russie a toujours eu un problème avec l'accès aux mers chaudes. Poutine avait deux ports en leasing : Sébastopol en Ukraine (état ami mais indépendant) et Tartous en Syrie. La présence sereine de la flotte russe dans ce dernier port s'est trouvée récemment menacée par la révolution syrienne, ce qui explique que Poutine soutienne avec force le gouvernement Assad, et soit furieux contre l'Occident qui tente évidemment de profiter de cette guerre pour installer dans ce pays un pouvoir qui lui soit favorable. Il est bien évident que voir l'Occident rôder autour de l'Ukraine, et en conséquence de Sébastopol, doit irriter Poutine au plus haut point.
Le conflit syrien dure depuis presque trois ans maintenant ; les puissances occidentales qui ont voulu le tripoter ont été au mieux impuissantes, au pire ridicules, on se souvient de Hollande, l'arme au pied, attendant en vain un coup de fil d'Obama qui n'est jamais venu. Pire, aujourd'hui les avancées des islamistes dans ce pays sont telles que l'Occident préférerait que Assad reste, plutôt que de créer un nouvel Irak dans cette région. Ce conflit a démontré à Poutine que l'Occident ne sait pas ce qu'il veut, ne sait pas agir, ne comprend pas ce qui se passe. Que rêver de mieux ?
Fort de cette assurance, Poutine regarde donc l'Union européenne venir "négocier" avec Ianoukovitch un hypothétique rapprochement avec l'Europe. La brillante Catherine Ashton, dont le plus grand fait d'armes aura été de se faire pirater par le FSB, vient donc intelligemment négocier avec un chef d'état détesté par son peuple, et qui va fuir son pays dans quelques semaines. Pendant que l'Occident répète à qui veut l'entendre que l' Ukraine a "soif de démocratie", alors que les habitants veulent juste être un peu moins pauvres, Poutine peut préparer tranquillement son attaque.
"Soif de démocratie", c'est une notion à laquelle il faut tordre le cou. La plupart des peuples ignorent ce qu'est la démocratie ; en revanche ils savent ce qu'est le détournement de fonds par le pouvoir en place. La démocratie n'est en rien en rempart contre cela, la France et ses voisins le démontrent chaque jour.
Pendant que l'Occident critiquait les jeux de Sochi, Poutine préparait la fuite de Ianoukovitch, la propagande pro-russe en Crimée, la calomnie du nouveau pouvoir Ukrainien. Les Occidentaux n'ont rien vu venir, rien compris, rien fait. Demain, la Crimée retombe dans le giron de Mère Russie, sans une goutte de sang versé, marque des opérations bien menées.
Obama est en fin de parcours d'un deuxième mandat, et n'a toujours pas réglé la moitié des problèmes sur son bureau depuis six ans ; autant dire qu'il a moins de pouvoir que l'armée monégasque. L'Europe ne sait toujours pas qui elle est, ni quel est son avenir ; elle n'a pas d'objectif. Notre amateurisme en Syrie et en Crimée devraient nous faire réfléchir ; aucun peuple ne peut durablement se complaire dans l'inaction et la terreur face à son propre avenir.
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20/12/2013
Sud-Soudan : beau boulot les gars (II)
Il y a deux ans j'attirais l'attention de mes lecteurs sur la façon dont on a transformé un pays pauvre, le Soudan, en deux pays plus pauvres encore. Les grandes puissances en sont largement responsables, et la facilité avec laquelle les populations locales se sont fait manipuler laisse augurer que ce ne sera pas la dernière fois.
Le Sud-Soudan est grand comme la France et abrite moins de dix millions d'habitants. Ces habitants parlent 60 langues (dont la moitié en voie de disparition), et leur langue officielle est l'anglais, que seule l'élite parle, autant dire personne. Ils sont islamistes, chrétiens, animistes ; leur pays n'a jamais existé dans le passé. Leur drapeau est une copie du drapeau kenyan, surchargé d'un écusson turquoise rappelant les couleurs de la RDC, donc bien loin de celles du Soudan, clone du fanion de la révolution islamique de 1916. Dans une certaine mesure, ce pays reproduit les différences climatiques et agricoles de son grand frère : montagnes et fortes précipitations au sud, régime semi-aride au nord-ouest. Une fois que l'on a dit cela, quelle unité pour ce pays, où les seules voies de communication interne sont les fleuves ?
On a donc créé un pays sur un contour qui n'a jamais existé, avec des populations qui ne se rencontrent pas (si ce n'est pour le pillage), qui ne se comprennent pas, qui vivent différemment et loin les unes des autres, et qui prient différents dieux... Petit détail sordide : le Sud-Soudan a hérité de son frère le partage d'une dette de 38 milliards de dollars (Club de Paris, IMF et Banque Mondiale). Vous imaginez démarrer dans la vie avec, en indivision avec un grand frère que vous haïssez, une dette de 38 milliards ? Mais pourquoi diable a-t-on créé ce pays ?
Pour qu'il soit manipulable, tout simplement. Aujourd'hui, il suffit d'un conteneur de Kalashnikovs (un million de dollars), et quelques primes aux meneurs (100 000 dollars) pour générer des troubles que le pouvoir central (si j'ose dire) ne saura réprimer. Et après, il est facile de demander au président de bien vouloir accepter ceci ou cela. Créer le Sud-Soudan, c'était le vouer de façon définitive aux affrontements des grandes puissances. Je ne vois aucune porte de sortie pour ce pays.
A l'époque où la France était installée en Afrique, où elle enseignait aux petits Africains que leurs ancêtres étaient gaulois, la France avec sa lenteur, son paternalisme, sa ringardise et sa culture millénaire faisait moins de mal que ce que l'on fait aujourd'hui aux Africains.
PS : Le FT est allé sur place.
07:33 Publié dans Géopolitique, Pétrole | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook |
27/03/2013
7, 14, 21, le dernier jeu de l'humanité
Les mâles de ma génération se sont confrontés au service militaire, et/ou aux pavillons universitaires non mixtes : tous deux conduisent soit à faire le mur, soit à se résigner à de longues soirées oisives avec d'autres individus du même sexe. Surgit alors l'immense inventivité associée à de telles assemblées, caractérisée par les jeux de bars.
Parmi ceux-ci, le jeu du 7-14-21 est typique : à l'aide de dés, celui qui tire le 7 commande le cocktail de son choix à partir de tout ce qui se trouve au bar ; les versions soft se limitent à la bière, mais la version "no limits" inclut généralement une base whisky-lait-vin rouge-menthe, avec tous les ajouts imaginables.
Ensuite, celui qui tire le 14 boit ledit breuvage ; qu'on se rassure, personne n'est jamais mort d'avoir absorbé un chocolat-champagne, et finalement cela prépare assez bien à goûter les œufs d'un siècle et le haggis.
Enfin celui qui tire le 21 paye. Le sort est malicieux, qui fait parfois payer, ou boire, à celui-là même qui l'a commandé, un immonde breuvage hors de prix.
L'humanité a réinventé ce jeu avec des règles légèrement différentes.
L'ordre est différent : d'abord on commande, ensuite on paye, enfin on boit. Et puis, les joueurs se voient attribuer un sort en fonction de leur âge. Enfin, on ne peut refuser d'y jouer.
Les gens de ma génération commandent - ou plutôt, ont commandé, car le coup est parti. Et le cocktail toxique a résonné aux oreilles de tous : surpopulation, dégradation de l'environnement, déplétion des réserves, changement climatique. Si l'on a une petite idée du goût de chaque ingrédient pris individuellement, personne n'imagine ce qui va se passer lors de leur conjonction ; mais ça devrait commencer vers 2050.
Nos enfants, la génération suivante, vont payer : d'abord ils vont payer nos retraites, entre autres en restant plus longtemps au travail et en cotisant plus, ils vont payer le déficit de l'état que nous allons mettre 15 ans à résorber. Ils vont payer l'essence et l'énergie plus cher que jamais, ils vont payer plus cher leur habitation, leur liberté et leurs espoirs. En fait ils ont déjà commencé à payer, sous la forme d'une diminution de leur pouvoir d'achat : 7 millions de pauvres en France en 2004, 9 millions en 2012 ; il ne s'agit pas d'un problème conjoncturel. Nous avons hypothéqué les rêves de nos enfants.
Enfin, ceux qui pourraient imaginer voir la fin de ce siècle, nos petits-enfants, boiront ce calice. Je ne serai plus là depuis longtemps, ni aucun des décideurs en place actuellement.
21:35 Publié dans Développement durable, Economie, Futur, Géopolitique, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook |