15/01/2011
Géotripotages : Afrique
L'Afrique est un défi aux découpailleurs : un continent que l'on croirait à portée de main, en réalité bien isolé par la mer de toutes parts, avec des contrastes forts de climats, de population, de richesse biologique et économique. Comment faire des pays cohérents en évitant d'accumuler la pauvreté ici, la richesse là ? Comment éviter les multiples erreurs (délibérées ou non) réalisées par les occupants d'hier en traçant des frontières indépendamment des populations, et parfois même en forçant à la cohabitation des populations qui s'appréciaient peu ? Comment s'intéresser aux cultures locales, dans un continent où les mouvements de populations ont été plus nombreux, et plus anciens qu'en Europe ? Une fois de plus, attachons-nous à notre jolie carte satellite, qui justement semble encore plus jolie que d'habitude. On croirait même que ce continent multicolore a été peint en tranches napolitaines... Quelle est cette diablerie ?
La rotation de la terre, en relation avec l'éclairement du soleil, génère les cellules de Hadley, qui elles-mêmes garantissent la stabilité des climats équatorial et tropical. Autour de l'équateur, climat chaud et humide ; autour des tropiques, climat sec ; entre les deux, un climat intermédiaire. Et hop, voilà notre continent instantanément peint de cinq couleurs, révélant la répartition climatique responsable de notre carte initiale : le climat chaud et humide génère la forêt dense à l'équateur, le climat sec génère les déserts jumeaux du Sahara et du Kalahari-Namib. A vrai dire, un bon climatologue pourrait presque déduire de cette photo l'inclinaison de l'axe de la terre. Tout cela fait une très jolie digression, mais qui a entendu parler d'états tracés le long d'un parallèle à l'équateur ? Les connaisseurs vont sauter sur leur micro et répondre immédiatement "Canada ! " Exact, la frontière de ce pays avec son voisin les USA suit le 49e parallèle sur 3 500 km, cela semble en effet une référence crédible. Alors pourquoi pas ?
Il y a au moins deux difficultés. Si l'on suit ce principe, on va faire un seul pays du Sahara, de Nouakchott à Djibouti, soit 8.000 km de sable dans un pays trop pauvre pour tracer la moindre route. Certes, il y a du pétrole, de l'uranium... Mais certainement pas assez pour nourrir une population avec une densité suffisante. L'absence d'eau et de routes goudronnées sur ces distances incroyables fait de tout projet un cauchemar logistique. Une deuxième difficulté est que certains pays vont se trouver extrêmement riches, et d'autres extrêmement pauvres. Alors que faire ?
Trichons un peu. Il est clair qu'une nouvelle carte politique ne doit pas entraîner de nouveaux mouvements de population intempestifs ; examinons donc la carte de la densité de population (ci-contre). Comme par hasard, la ressemblance avec la photo satellite est frappante, et montre à quel point les deux zones tropicales sont humainement insoutenables ; inutile donc d'y tracer de petits pays. On remarque également l'énorme densité à proximité du Golfe de Guinée, dans la région des Grands Lacs, et sur le plateau éthiopien ; le Maghreb a déjà été traité dans la section Europe, l'Egypte s'affirme en un trait caractéristique. Cette carte confirme la validité d'un découpage par latitude, ce qui ne nous aide pas beaucoup. Et si nous cherchions un peu sur le plan culturel ?
On l'a dit, l'Afrique a connu de multiples mouvements de populations, et cela d'autant plus qu'elle a vraisemblablement été la première dans l'histoire ; elle a connu de grands empires, dont il reste si peu de traces aujourd'hui. Mais si l'on s'intéresse aux langues parlées par les Africains modernes (carte ci-contre), on peut à nouveau identifier les populations non plus par leurs quantités, mais par leur culture. By Jove ! comme dirait Mortimer, mais cette carte ressemble à nouveau à toutes les autres ! Certes, mais d'une part elle nous confirme que l'implantation des cultures a dans une certaine mesure respecté les biotopes, mais aussi que les cultures ont gardé toute leur valeur fondatrice. Il est temps de se jeter à l'eau et d'attraper les crayons aux 5 couleurs de Rimbaud !
Tout d'abord j'ai réglé son compte au Sahara, qui fait l'objet d'un protectorat de la part des nations voisines. Certes cette solution est délicate, mais peut-être pas pire que l'existant, où cette région ne fait l'objet d'aucun développement - en fait elle se dépeuple. L'attribution des ressources minières (pétrole, etc.) fait l'objet d'une péréquation. Confier aujourd'hui à des états pauvres, tels que le Mali ou le Niger, le développement d'une zone plus pauvre encore est absurde. Ensuite les frontières respectent la double structure géographique de l'Afrique, partagée "horizontalement" comme on l'a vu plus haut, et "verticalement" par le Grand Rift entre les états tournés vers l'atlantique, et les états tournés vers l'océan indien, qui étaient déjà bien identifiés (commercialement parlant) au début de notre ère comme le montre le Périple de la Mer Erythrée. Enfin il y a un géant : Soninké, hérité de l'ancien royaume du Ghana.
La carte suivante montre les nouvelles frontières appliquées aux populations : les grands états apparaissent, ainsi que les territoires de culture ancienne. Ces nouvelles frontières favorisent délibérément l'émergence de grands états africains, que les envahisseurs européens avaient interdite en découpant le pays le plus riche en minuscules tranches : Ghana, Togo, Bénin, Guinée Bissau, Sierra Leone, Gambie sont autant de moyens de garder ce continent à sa merci. Avec 300 millions d'habitants, le géant Soninké est capable de donner à lui seul une direction à son continent, et de résister aux pressions externes. A ses côtés, une série de challengers : Congo, Yeltiopia, Kenya, Bantu, Azania, Lesotho ont tous les ressources et les populations propres à faire de grandes nations. Nubia a lui aussi des ressources pétrolières certaines, mais c'est à lui que revient le plus gros effort d'unification territoriale. Enfin quelques pays seront plus difficiles à mener, à l'instar de Madagascar, pour le moment si pauvre, isolée, et sur le chemin des cyclones hivernaux.
Cette carte mérite toutes sortes de critiques, mais l'une d'entre elles doit être traitée quand on se pique de futurologie. En effet, c'est bien gentil d'apporter le Maghreb à une Europe qui ne le demande pas, d'ignorer l'influence des Etats-Unis dans cette région, mais pouvons-nous vraiment négliger l'influence chinoise ? Allez, une dernière carte, qui montre le montant des investissements chinois dans cette région en 2005. La Chine attaque pour le moment les pays où l'Occident lui laisse les mains libres, et les pays riches en ressources minières. Elle n'a pas de raison de s'arrêter là : avec une population colossale et des difficultés climatiques croissantes, la Chine aura toujours besoin de surfaces arables ; et comme elle compte bien rester l'usine du monde le plus longtemps possible, elle sera toujours à l'affût de matières premières. Le combat, par référendum interposé, que se livrent les USA et la Chine pour le pétrole du sud-Soudan en ce moment même, nous servira (peut-être) de leçon. Dans les années 60, de nombreux peuples africains se sont libérés du joug de l'envahisseur, parfois dans la paix, parfois dans le sang ; il n'est pas exclu qu'à peine quelques décennies plus tard, et avant d'avoir eu le temps d'affirmer leurs propres sentiments nationaux, ils retrouvent un tout nouveau type d'envahisseur.
NB : Pount fait bien sûr allusion au Pays de Pount, évoqué par les voyages marins ordonnés par la reine Hatchepsout, environ 1500 avant notre ère, et dont nous ignorons toujours s'il s'agit bien de cette région, ou de l'actuel Yémen.
NB2 : les idées à la base de la création de cette carte sont développées dans la page Géotripotages
NB3 : un article du Monde clair et bref sur la sécession en cours du Sud-Soudan, montrant à quel point toute partition d'un état pauvre en deux états plus pauvres encore est une défaite.
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