11/01/2011
Géotripotages : Europe
Après beaucoup de tergiversations et de détours par l'extrémité de la planète, voici enfin l'exercice le plus difficile : l'Europe. Pourquoi le plus difficile ? Essentiellement parce que nous en connaissons tous, peu ou prou, l'histoire, la géographie, la politique et l'état actuel ; notre vision est donc forcément influencée et partiale. Par sécurité, je m'empresse de signaler qu'aujourd'hui même, les meilleurs spécialistes sont infoutus de dire où s'arrête l'Europe, ni quel genre de régime politique elle devrait avoir. Quand à lui envisager un avenir, alors là...
Face à toute cette incompétence (ou pusillanimité, comme on veut), le poids de l'histoire joue tout son rôle. Car il y a au moins deux acteurs qui avaient une vision de l'Europe, même s'ils en ignoraient le nom.
Le premier acteur fut l'Empire Romain, qui je le reconnais n'avait pas grand intérêt pour l'Europe, mais plutôt pour Mare Nostrum - la Mer Méditerranée la bien nommée, que les Romains n'eurent de cesse de conquérir en totalité, l'aventure carthaginoise les ayant lassés des initiatives locales. Ajoutons qu'ils n'ont fait que suivre un chemin déjà tracé par les Phéniciens avant eux, et il sera facile de se convaincre que le véritable berceau de l'Europe, c'est la Méditerranée (qui elle-même est née du Croissant Fertile, mais c'est une autre histoire). Le monsieur en vignette est vraisemblablement Jules César, tel que découvert récemment dans le Rhône - sacrée gueule non ?
800 ans, et peut-être 80 invasions plus tard, un autre acteur se penche sur la question, non pas depuis le nid douillet de son bureau, mais les armes à la main, c'est Charlemagne, qui propose une autre vision du sujet. L'Europe s'est déplacée vers le nord, et ce mouvement ne fait que traduire l'importance des populations venues de l'est, et qui se sont installées dans un houleux équilibre dans ces régions accueillantes. La naissance de ce nouvel empire se fait aux dépens des puissances du sud, empêtrées dans des guerres interminables, ce qui devrait être une leçon pour tout le monde : le pouvoir revient à celui qui sait imposer la paix autant que la guerre. Hélas, l'Europe l'oubliera trop souvent.
C'est sans doute la particularité première de l'Europe : avec un climat tempéré, une mer intérieure et une ouverture vers l'océan, et pas de calamités telles que typhons ou volcanisme, elle a nombre d'éléments favorables à l'éclosion d'une civilisation. Donc peu importe comment on la découpe, les choses y progresseront indépendamment de la bêtise humaine.
A peine Charlemagne disparu, on s'emploie à découper son héritage en petits bouts, et tout est à refaire : de même que la ruée inouïe d'Alexandre avait rapproché des peuples qui s'ignoraient complètement, et se sont empressés de s'ignorer à nouveau après son passage, de même l'unification de la culture et des objectifs des peuples européens n'a pas eu le temps de se faire : les grands hommes font les empires, mais ce sont les grands peuples qui font les nations.
Un dernier détour par l'année 1900, que j'apprécie beaucoup sur le plan géopolitique. A cette date, l'Europe, considérée collectivement, est une puissance suprême. Colonialement, elle ne cesse d'étendre ses territoires ; militairement elle est écrasante ; culturellement elle est une merveille. Et pourtant, les racines du mal sont toutes là. Elle n'a pas su maintenir les USA dans son giron, et a ignoré l'avenir de ce nouveau géant ; elle a cru que la prochaine guerre serait facile, et aux dépens de ses deux voisins affaiblis, l'Empire Ottoman et l'Empire Russe. 45 ans plus tard, l'Europe n'est plus qu'un petit tas de ruines, incapable de se relever seule, elle laisse tomber au sol le sceptre de la suprématie, que les USA ramassent avant même de l'avoir convoité. L'Europe en 45 ans a détruit ce que nos ancêtres avaient difficilement bâti en 2 000 ans, justifiant la phrase de Schiller (ou de Nietszche ou de Platon, comme on veut) : "Contre la stupidité, les Dieux eux-mêmes luttent en vain". Je suis même tenté d'ajouter que l'Europe a connu son ascension non pas grâce à l'intelligence des Européens, mais en dépit de celle-ci. Au-delà de la boutade, il me semble que l'Europe offre un territoire tellement privilégié, que n'importe qui aurait pu y réussir. Ainsi ce que les Européens ont longtemps pris pour de l'excellence n'est que le résultat de hasards favorables.
Ces deux guerres auront eu un avantage : rappeler aux Européens que seule la paix est une option, et (parmi tant d'autres) une grave conséquence : les terroriser face à leur avenir. C'est ainsi qu'il n' y a toujours pas, aujourd'hui, soit 70 ans plus tard, d'école moderne proposant un destin européen. Alors face à ces multiples bévues, n'hésitons pas à tracer des traits : même maladroits, ils ne le seront guère plus que ce que bien d'autres ont fait jusqu'à présent.
Tout d'abord appuyons-nous fermement sur notre carte satellite : même si les espaces immenses de l'Est nous donnent le vertige, nous devons admettre qu'ils ne sont pas de notre compétence, et les premiers champs de blé ukrainiens, les premiers bouleaux de la taïga russe marquent le bout de notre culture. Même les Grecs n'ont jamais considéré que le Pont Euxin leur appartenait, et il est à bien des égards le début de la Route de la Soie. Enfin la partie occidentale de la Turquie est pour moi européenne : où est Troie si ce n'est dans mon coeur ?
Au sud, le sujet est vite délicat ; le Maghreb est fils d'Atlas, et en cela, est-il méditerranéen, donc européen, ou africain ? Pour moi l'explication est dans le futur, je laisse la discussion ouverte.
Les îles britanniques présentent curieusement une partition agricole qui ressemble tant à leur partition politique que je n'ai pu m'empêcher de la maintenir ; cependant je reconnais que ces îles ont vocation à rejoindre un jour l'Europe, mais je ne suis pas convaincu que ce jour soit arrivé : les îliens ont toujours un problème mental avec les continentaux, nous le reverrons avec le Japon.
Enfin au nord, mal gré que j'en aie, le satellite ne peut mentir, et nous montre bien que les actuelles Norvège, Suède et Finlande sont un autre biotope, une autre façon de vivre. Les puristes remarqueront immédiatement quelques "détails" hautement historiques. La Russie en effet perd Mourmansk et son ouverture vers les mers chaudes, alors que ce point particulier a fait l'objet de furieux combats ; de même la disparition de la Finlande nie tout un pan de l'histoire ; enfin le petit territoire de Malmö qui rejoint l'Europe aux dépens de la Suède nous ramène presque au Moyen-âge. Ces trois mini-exemples montrent bien que le biotope est une chose, la politique en est une autre, et toutes les cartes qui sont présentées dans cette série expriment en réalité le substrat territorial à partir duquel les ambitions de chaque peuple peuvent s'exprimer.
NB : les idées à la base de la création de cette carte sont développées dans la page Géotripotages
00:00 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook |
Les commentaires sont fermés.