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09/01/2011

Géotripotages : Asie

ChinaESA.jpgFaisons tout de suite le pendant géopolitique à l'Inde et attaquons la Chine, ou plutôt l'extrême-orient tant la Chine l'influence. Vue de la France, la Chine n'est pas exactement facile à imaginer : tout simplement 20 fois la surface, et 20 fois la population de notre doux pays. Ayons donc bien conscience que tout mouvement de ciseau inconsidéré déplace non pas des millions, mais des centaines de millions d'habitants dans une culture ou dans l'autre. Je présente donc mes excuses anticipées à tout spécialiste qui passerait par là, et je me jette sur mes feutres.

Henan et Hebei sont vite identifiés, c'est le berceau de la Chine, son Ile-de-France - bien sûr la civilisation ne s'est pas développée que là, de même qu'il y a de la réflexion ailleurs qu'à Paris. Ces deux royaumes sont riches, tellement riches qu'ils attirent sans cesse les invasions venues du nord. Et quand on est un Habitant du Fleuve, les pieds dans la glaise toute la journée, on n'a évidemment pas de défense face à ces cavaliers intrépides qui méprisent les villes. Ces invasions permanentes leur laissent peu de répit militaire, ce qui permet au Sichuan, tout aussi riche mais moins voyant, d'exister tranquillement, et de faire un commerce éhonté avec ses voisins.

Car des voisins de taille il y en a, l'un en particulier est un voisin professionnel : le Tibet. Immense plateau désertique, nous avons du mal à imaginer ce qu'est un glacis de 3 000 km de large. Les Chinois en revanche sont enchantés de ce voisin, pauvre et sans ambition, qui les protège efficacement de leur ennemi Indien. Au sens moderne, ce pays n'est soutenable que dans la mesure où on lui laisse sa section orientale. Mais il est clair qu'une Chine unie ne peut que s'emparer de cette forteresse, ne serait-ce que pour empêcher l'Inde de le faire.

China2.jpgBurmah et Thaï sont des états jumeaux : semblables au point de se détester, ils sont sans arrêt en guerre l'un contre l'autre, ce qui est une bénédiction pour la Chine, car si cette zone s'unifiait, elle atteindrait vite des capacités équivalentes à celles de l'Inde, et la Chine a bien assez de concurrents à ses portes. La Chine dépense donc un budget conséquent pour entretenir les dissensions dans cette zone, en évitant soigneusement d'y mettre le pied. L'endroit est tentant : riche, peuplé, déjà envahi par la diaspora chinoise, il ne serait pas bien compliqué de l'absorber par assimilation. L'ouverture vers une mer dénuée de typhons est clairement un atout ; mais d'un autre côté, tout mouvement dans ce sens serait interprété comme une déclaration de guerre par l'Inde. Patience et longueur de temps...

Et au nord, deux autres glacis - mais comme c'est facile d'être stratège en Chine ! La Mongolie est laissée à l'abandon : les sauvages venus du nord étant infoutus d'inventer la route, il suffit de ne pas leur en offrir, et de supporter patiemment leurs incursions comme un buffle supporte les mouches, les sabots bien plantés dans sa rizière. La légende veut que la Grande Muraille ne fut pas érigée pour empêcher les envahisseurs d'entrer (votre serviteur, dans sa jeunesse, a franchi aisément l'obstacle), mais plutôt de les empêcher de repartir avec un butin conséquent. Evidemment, dès qu'il s'agit d'inventer le charbon et le pétrole, cette région reprend de la valeur : mais c'est prévu chef, puisque ce pays est pauvre et mal géré, il est d'autant plus facile d'y pénétrer - ou mieux, de le racheter quand on en a besoin.

jlau asia center.jpgQuand à la  Tokharie, on croirait un pays inventé pour un jeu vidéo : des montagnes de 6 000 m, un désert meurtrier, des fleuves entiers qui descendent de la montagne pour mourir dans les dunes. Oui mais, il y a les oasis - que nous reverrons avec Oasistan - et ces oasis génèrent une telle richesse ponctuelle qu'ils suffisent à contrôler chacun sa part de désert, de passage à gué, de col enneigé. C'est de là que vient le meilleur vin à des millers de km à la ronde, et je ne parle pas des péages pour acheminer le gaz naturel du Turkestan. Les connaisseurs auront reconnu l'équivalent du Xinjiang, pays Ouighour qui aujourd'hui pose des problèmes politiques à la Chine plus aigus que le Tibet - mais comme ils n'ont pas de Dalaï-Lama, ni d'Everest et qu'ils sont musulmans, nos fidèles journalistes ne nous en parlent jamais. Il partage d'ailleurs avec ce pays des contraintes similaires ; fréquemment sous le joug de ses voisins, confronté à des distances internes et externes extrêmes (monument symbolisant le centre géographique de l'Asie ci-contre), peu peuplé, il paraît difficilement soutenable seul.

Tocharian.JPGLe nom de Tokharie est tiré des langues tokhariennes, qui furent parlées dans cette région au début de notre ère (photo ci-contre), langues indo-européennes. Déjà à l'époque, les Chinois, incapables de projeter leurs forces militaires à cette énorme distance, faisaient preuve de diplomatie en s'alliant à des peuples locaux contre les Xiongnu, ancêtres des Huns, qui leur échappaient trop facilement dans ces paysages de cinéma.

Alors, un seul pays, six ou sept ? La Chine, empire impérialiste ou puissance tranquille ? Nous avons un problème définitif en France pour comprendre l'Asie : nous ignorons ce que c'est qu'un fleuve. Oh oui nous avons la Loire, l'Yonne et ses fureurs. Aucun d'entre nous ne peut concevoir un fleuve de 6 000 km de long, assez majestueux pour accueillir de front la totalité de notre flotte fluviale, et synonyme depuis la nuit des temps de développement culturel et économique. De même qu'un cavalier cosaque ne s'arrête pas de galoper tant qu'il a de la steppe sous ses sabots, de même le paysan chinois ira jusqu'à la source de ses fleuves - et oui, ils descendent tous du Tibet. Quand j'étais petit, on m'avait enseigné que "l'Egypte est un don du Nil" ; ce ne sont pas les Chinois qui ont fait la Chine, ce sont ses fleuves.

J'avoue, il manque le nord de la Chine, qui joue un rôle essentiel pour contrôler la Russie et le Japon. On y reviendra !

NB : les idées à la base de la création de cette carte sont développées dans la page Géotripotages

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