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27/03/2013

7, 14, 21, le dernier jeu de l'humanité

Les mâles de ma génération se sont confrontés au service militaire, et/ou aux pavillons universitaires non mixtes : tous deux conduisent soit à faire le mur, soit à se résigner à de longues soirées oisives avec d'autres individus du même sexe. Surgit alors l'immense inventivité associée à de telles assemblées, caractérisée par les jeux de bars.

Parmi ceux-ci, le jeu du 7-14-21 est typique : à l'aide de dés, celui qui tire le 7 commande le cocktail de son choix à partir de tout ce qui se trouve au bar ; les versions soft se limitent à la bière, mais la version "no limits" inclut généralement une base whisky-lait-vin rouge-menthe, avec tous les ajouts imaginables.

Ensuite, celui qui tire le 14 boit ledit breuvage ; qu'on se rassure, personne n'est jamais mort d'avoir absorbé un chocolat-champagne, et finalement cela prépare assez bien à goûter les œufs d'un siècle et le haggis.

Enfin celui qui tire le 21 paye. Le sort est malicieux, qui fait parfois payer, ou boire, à celui-là même qui l'a commandé, un immonde breuvage hors de prix.

L'humanité a réinventé ce jeu avec des règles légèrement différentes.

L'ordre est différent : d'abord on commande, ensuite on paye, enfin on boit. Et puis, les joueurs se voient attribuer un sort en fonction de leur âge. Enfin, on ne peut refuser d'y jouer.

Les gens de ma génération commandent - ou plutôt, ont commandé, car le coup est parti. Et le cocktail toxique a résonné aux oreilles de tous : surpopulation, dégradation de l'environnement, déplétion des réserves, changement climatique. Si l'on a une petite idée du goût de chaque ingrédient pris individuellement, personne n'imagine ce qui va se passer lors de leur conjonction ; mais ça devrait commencer vers 2050.

Nos enfants, la génération suivante, vont payer : d'abord ils vont payer nos retraites, entre autres en restant plus longtemps au travail et en cotisant plus, ils vont payer le déficit de l'état que nous allons mettre 15 ans à résorber. Ils vont payer l'essence et l'énergie plus cher que jamais, ils vont payer plus cher leur habitation, leur liberté et leurs espoirs. En fait ils ont déjà commencé à payer, sous la forme d'une diminution de leur pouvoir d'achat : 7 millions de pauvres en France en 2004, 9 millions en 2012 ; il ne s'agit pas d'un problème conjoncturel. Nous avons hypothéqué les rêves de nos enfants.

Enfin, ceux qui pourraient imaginer voir la fin de ce siècle, nos petits-enfants, boiront ce calice. Je ne serai plus là depuis longtemps, ni aucun des décideurs en place actuellement.

10/04/2012

Delenda est Goldman Sachs ! (II)

Traduction libre de l'article Why I Am Leaving Goldman Sachs, New York Times, 14 mars 2012, de Greg Smith.

"Aujourd'hui est mon dernier jour à Goldman Sachs. Après 12 années dans cette société, d'abord en tant que stagiaire à Stanford, puis à New York pendant 10 ans, et maintenant à Londres, je pense que j'ai travaillé ici suffisamment longtemps pour comprendre la direction prise par sa culture, ses collaborateurs et son identité. Et je peux sincèrement dire que l'environnement est devenu le plus toxique et destructif que j'aie jamais vu.

En termes simples, les intérêts du client continuent d'être négligés dans la façon dont la compagnie fonctionne et pense sa façon de gagner de l'argent. Goldman Sachs est l'une des plus grandes et des plus  importantes banques d'investissement, et elle est trop consubstancielle à à la finance mondiale pour continuer à se comporter de cette façon. La firme a dérivé si loin de ce qu'elle était quand je l'ai rejointe en sortant de l'école, qu'en toute conscience je ne peux plus dire que je m'identifie avec ce qu'elle défend.

Cela peut paraître surprenant aux gens de l'extérieur, mais la culture a toujours été une part vitale du succès de Goldman Sachs. Elle était constituée de travail d'équipe, d'intégrité, d'humilité, et de tout faire pour le bien de nos clients. La culture était ce liant secret qui embellissait cet endroit et nous a permis de mériter la confiance de nos clients pendant 143 ans. Il ne s'agissait pas simplement de gagner de l'argent ; cela seul ne soutient pas une société pendant aussi longtemps. C'était la fierté et la foi dans l'organisation. Je suis triste à l'idée qu'aujourd'hui je ne vois rien autour de moi de la culture qui m'a fait aimer travailler pour cette compagnie pendant toutes ces années. Je n'ai plus ni fierté, ni foi.

 Cela n'a pas toujours été le cas. Pendant plus de dix ans j'ai recruté et formé des candidats au long de notre exigeante procédure de sélection. J'ai été l'une des dix personnes sélectionnées (parmi les 30 000 employés de la société) pour participer au clip video de recrutement, qui est présenté sur chaque campus que nous visitons dans le monde. En 2006 j'ai géré le stage de vente et de trading à New York pour les 80 étudiants sélectionnés parmi des milliers de candidatures.

J'ai comprois qu'il était temps de partir quand je me sui srendu compte que je ne pouvais plus dire aux candidats, droit dans les yeux, comme c'était formidable de travailler ici.

Quand on écrira les livres d'histoire, ils révèleront peut-être comment le Dr Général, Lloyd C. Blankfein, et le Président, Gary D. Cohn, ont perdu le contrôle de la culture de leur propore société. Je pense sincèrement que le déclin de la fibre morale de cette société constitue la menace la plus sérieuse vis-à-vis de cette société à long terme.

Tout au long de ma carrière j'ai eu le privilège d'être le conseiller de deux des plus grands hedge funds de la planète, de cinq des plus grands gestionnaires d'investissements aux USA, de trois des fonds souverains les plus importants au Moyen-Orient et en Asie. Mes clients représentent des fonds supérieurs à mille milliards de dollars. J'ai toujours ressenti une grande fierté à conseiller à mes clients ce qui est bon pour eux, même si cela revient pour la société à gagner un peu moins d'argent. Cette conception est devenue imporpulaire à Goldman Sachs, un autre signe qu'il était temps de partir.

 Comment en sommes -nous arrivés là ? La compagnie a changé de conception du leadership. Le leadership, c'était les idées neuves, montrer l'exemple et faire ce qui est bien. Aujourd'hui, si vous faites gagner suffisamment d'argent à la société (sans pour autant être un véritable assassin), vous aurez une promotion.

Trois façons de devenir directeur rapidement chez nous : a) Faire fonctionner les "haches", jargon interne pour persuader nos clients d'investir dans des actions ou produits dont nous souhaitoins nous débarrasser parce que leur rentabilité future nous apparaît faible. b) "Chasser l'éléphant" En clair : faire acheter à nos clients - dont certains sont compétents, d'autres moins - les produits qui nous rapportent le plus. Je suis peut-être dépassé, mais je ne peux vendre à mes clients des produyitys qui ne leur conviennent pas. c) Trouvez-vous une mission où votre responsabilité consiste à vendre tout produit opaque et non liquide avec un acronyme en trois lettres.

Aujourd'hui, la culture Goldman Sachs chez beaucoup de ces dirigeants est inexistante. Je participe à des réunions sur la vente d'instruments financiers à nos clients, au cours desquelles on ne consacre pas une minute à se demander comment nous pouvons aider nous clients. Il s'agit simplement de se demander comment nous pouvons gagner le maximum d'argent sur leur dos. Un Martien qui viendrait participer à ces réunions penserait que la réussite ou le bien de nos clients ne fait tot simplement partie de nos préoccupations.

 J'en suis malade d'entendre avec quel mépris les gens chez nous parlent de rouler nos clients. Ces douze derniers mois mois, j'ai vu 5 directeurs différents appeler leurs propres clients "muppets", parfois par mail interne. Même après la SEC, Fabulous Fab, Abacus, God's Work, Carl Levin, Vampire Squids ? Aucune humilité ? Incroyable. L'intégrité ? Elle s'érode. Je n'ai pas connaissance de délits quelconques, mais est-ce que les collaborateurs proposent des produits lucratifs et compliqués à nos clients indépendamment de leurs objectifs ? Certainement. En fait, tous les jours.

Je suis stupéfait que la direction ne se rende pas compte de l'évidence : si les clients ne vous font plus confiance, ils finiront par ne plus travailler avec vous. Peu importe que vous soyez brillant.

Ces derniers jours, la question la plus courante que j'entende de la part des jeunes analystes à propos des produits dérivés, c'est "Combien d'argent avons-nous pris au client ?" Ca me gêne à chaque fois que je l'entends, car elle reflète simplement le comportement de leurs dirigeants. Projetez cela dix ans dans l'avenir : pas besoin d'être un génie pour deviner que le jeune analyste entendant parler de "marionnettes", "arracher les yeux" et "se faire payer" ne donnera pas pas exactement un citoyen modèle.

Quand j'étais dans ma première année j'étais très ignorant. J'ai appris à m'intéresser aux finesses du métier, ce que sont les produits dérivés, à comprendre la finance, connaître nos clients et ce qui les motive, apprendre comment ils définissent la réussite et comment nous pouvons les aider à y pervenir.

Les moments de ma vie dont je suis le plus fier - obtenir une bourse à Stanford en venant d'Afrique du Sud, être sélectionné en finale nationale de la bourse Rhodes, gagner une médaille de bronze  en tennis de table aux Jeux Maccabi en Israël, connus comme les Jeux Olympiques juifs - sont tous arrivés par le travail, pas par des voies détournées. Aujourd'hui Goldman Sachs c'est trop de voies détournées et pas assez de réussite. Ca ne me va tout simplement plus.

J'espère que ceci peut servir d'alarme au conseil d'administration. Rendre à nouveau le client le centre de notre activité. Sans clients, personne ne gagne d'argent. En fait, on n'existe plus. Eliminez les gens moralement perdus, indépendamment de l'argent qu'ils font gagner à la société. Remettez la culture sur les bons rails, afin que les gens veuillent travailler à nouveau ici pour les bonnes raisons. Ceux qui ne s'intéressent qu'à l'argent qu'ils gagnent ne soutiendront pas cette société, ni la confiance de ses clients, pendant très longtemps."

Greg Smith démissionne le 14 mars de son poste de directeur exécutif et responsable des produits dérivés en Europe, Moyen-Orient et Afrique. 

Delenda est Goldmans Sachs ! Première partie sur ce blog

I want to work at Goldman Sachs un clip bref et clair qui en dit presque aussi long.

GOLDMAN SACHS' RESPONSE TO MARCH 14, 2012 NEW YORK TIMES OP-ED  et pour être équitable, la réponse de Goldman Sachs.

 

 

13:41 Publié dans Economie, Futur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : finance futur, toxique, toxic | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook |

22/03/2012

Ma tribu est une chaîne de Markov

Ce matin le groupe des chasseurs a encore changé de lieu. Je ne les vois pas près de la rivière, ils ne sont pas non plus sur le Grand Pré ; ils ont du prendre par la forêt et je vais peut-être les voir ressortir à l'opposé du ravin. Ou pas.

Ma tribu me donne le tournis. Il y en a toujours un pour inventer quelque chose, aller à un endroit nouveau, rapporter une nouvelle plante. Je ne sais pas comment ils font. Quand j'essaie de les comprendre, ça me fait mal dans la tête. Hier ils sont ici, demain ils sont là, et je ne vois jamais le chemin.

Leurs groupes sont changeants. Parfois le groupe des chasseurs est nombreux, parfois ils ne sont que quelques-uns. Parfois les mères au village sont très actives, parfois on ne les voit pas bouger, simplement parler entre elles.

Ma tribu parle beaucoup. Pas seulement le soir, quand tout le monde rentre avant que les esprits reprennent possession de la nature, pour partager les émotions de la journée. Non, ma tribu parle tout le temps. J'ai du mal avec ça. Je sais parler, mais les mots ne sortent pas. Je tremble qu'un jour on me chasse, parce que je ne leur parle pas. Eux pourtant me parlent, dans chacun de leurs gestes. Je les connais par coeur, je les ai tous dans ma tête, je suis fait d'eux. Parfois, ils s'imposent à moi, ils me font mal. Ma tribu me fait souffrir. Chaque jour je cherche à leur dire, à leur offrir quelque chose, mais je ne trouve pas.

Alors je continue à faire mes dessins sur des écorces, là-haut sur le promontoire. J'ai toutes les courbes en moi, tous les mouvements, les ombres et les couleurs. Je les trace parfois sur des écorces, dans le sable, d'un seul mouvement fluide. Mais ma tribu n'a pas besoin de mouvements fluides. Ma tribu me nourrit, elle me protège. Que fais-je pour elle ?

Hier Lembod n'est pas rentré. La tribu en a très peu parlé, tout le monde avait l'air de savoir ce qui s'était passé, je n'ai pas osé demander. J'aimais beaucoup Lembod ; il parlait peu. Il aimait les arbres de la forêt et les chemins solitaires. Il était près des chevaux. Les chevaux, même sauvages, lui obéissaient. Un jour j'ai vu un étalon sauvage venir vers lui, comme pour lui parler, et faire un mouvement de la tête devant lui. Je me souviens du mouvement. Hier soir je ne pouvais pas pleurer, personne ne pleurait. Mais ce matin je suis seul et mes larmes roulent et tombent sur mes encres.

Cheval, ChauvetAlors je suis allé dans la Caverne des Ancêtres, où tout le monde hésite à entrer. J'ai fait les mouvements fluides et j'ai tracé le cheval de Lembod avec mes larmes, en trois têtes qui font le mouvement. Et ce soir je suis allé chercher ma tribu en tremblant, pour leur montrer le cheval-de-Lembod-qui-est-Lembod. Alors le Shaman a prononcé de nombreux mots, et la tribu aquiesçait. Je n'ai pas compris leurs mots, mais en partant ils m'ont tous serré dans leurs bras comme si je leur avais fait un grand cadeau. Ma tribu est une chaîne de Markov.