28/01/2012
Sud-Soudan : beau boulot les gars !
Pendant des années, le Soudan a été en Occident la cible des médias, des people, et des ONG. Retenons la leçon, quand ces 3 acteurs sont présents, il faut s'inquiéter. Car le Soudan se contentait jusque-là d'être un pays pauvre comme on en trouve beaucoup en Afrique, hésitant entre pays sahélisé, pays historique et dictature sanglante. Et puis le Sud-Soudan a fait sécession, créant un 55e état africain. C'est quoi ce nom, Sud-Soudan ? Si cette région a fait sécession, n'est-ce pas pour retrouver une identité oppressée ?
Si l'on regarde plus en arrière, on se rend compte que cette région d'Afrique présente de solides particularités, qui l'opposent systématiquement à ses voisins du nord. Située à l'entrée nord de la zone des Grands Lacs à laquelle elle s'apparente par son climat, sa faune et sa flore, elle abrite et contrôle une grande partie du Nil Blanc. Principalement chrétienne et animiste, elle est peuplée d'environ 10 millions d'habitants pour une surface équivalente à la France. Avec tous ces avantages, on se demande comment cette région est si peu peuplée.
Depuis que les Européens se sont occupés de l'Afrique, cette région a fait l'objet de convoitises, de partages, et finalement d'association contre nature. Les Anglais ont toujours été les champions du Haut-Nil, et on créé une première entité nommée Equatoria en 1870, sous couvert du pouvoir égyptien ; elle est ensuite passée de mains en mains, un moment administrée par les Anglais depuis Le Caire, ce que les Pharaons eux-mêmes n'avaient pas fait, pour finalement échouer dans le giron du Soudan au départ des Britanniques en 1956, garants une fois de plus de laisser derrière eux un pays instable. Dès cette date, la guerre civile fit rage, de façon presque continue entre 1955 et 2005, faisant un nombre total de victimes inconnu, mais compris entre 2 et 7 millions de morts.
L'éviction des Britanniques laissait la place à tout le monde, à commencer par d'autres pays européens, France et Italie en tête, qui commencèrent à y chercher du pétrole dans les années 1970, sans résultat intéressant. C'est finalement Chevron qui en trouva des quantités commerciales au début des années 1980. Simultanément, le pays traversait une dépression économique qui poussa le gouvernement à accorder des permis de recherche dans le sud-Soudan, tout en en conservant les bénéfices, au grand dam des populations du sud, ce qui exacerba la guerre civile. En 1990, Chevron, face à une situation trop instable, et malgré des centaines de millions de dollars dépensés, se retire.
La décennie 1990 restera dans l'histoire du pétrole comme la décennie noire où le baril ne fut jamais aussi bas ; ce n'était guère le moment d'investir ; et pourtant, qui entreprend, en 1997, de construire un pipeline de 1 600 km pour relier les champs pétrolifères du Sud-Soudan à port-Soudan ? GNPOC, un consortium mené par China National Petroleum Corporation, l'Empire du Milieu étend déjà son influence au plus profond de l'Afrique.
4 ans plus tard, c'est Septembre 2001, événement qui aurait sans doute été fort différent dans ses conséquences avec un autre président aux commandes des USA ; le besoin en pétrole est toujours plus pressant, mais en plus le combat longtemps annoncé entre l'actuel maître du monde, et la future plus grande économie du monde, a commencé. Les USA, qui ne veulent certainement pas affronter directement la Chine, emploient une méthode moins risquée et moins chère, la propagande. Vieille méthode, peinture neuve, on y ajoute des people comme George Clooney pour faire viral (lire : pas cher et destiné aux gogos) et des ONG pour faire propre, et on emploie le terme "Darfour" pour ne pas avouer que le vrai sujet est le Sud-Soudan. Mais l'idée est bien d'interdire aux Chinois l'accès qu'ils se sont tranquillement construit au pétrole du sud, en supportant la sécession du sud, ce qui donnerait l'opportunité aux USA de reprendre l'avantage. Ah, j'oubliais un quatrième acteur, vraiment hi-tech et qui fait plaisir aux Geeks : Google (c'est américain Google ?).
La sécession est donc prononcée en 2011, saluée par des cris de joie dans nombre de pays occidentaux, montrant comme les Européens, qui ne sont en rien partie à cette bataille, sont manipulables, et montrant également qu'une fois de plus, personne n'a regardé la carte. Cette sécession transforme un pays pauvre en deux pays plus pauvres encore. C'est quoi l'idée ? 50 ans après le départ des Européens, les Africains se débrouillent pour faire pire ?
La carte, la voilà, comme disait Napoléon... Le long préambule ci-dessus est presque inutile quand on distingue les champs pétrolifères, au sud, et le pipe chinois, qui les relie à Port-Soudan, au nord. Il se passe quoi si les deux pays ne parviennent pas à un accord sur le partage des bénéfices obtenus par ce pétrole ?
C'est pas compliqué, le pétrole s'arrête de couler, c'est ce que vient d'annoncer le gouvernement du Sud-Soudan.
Beau boulot les gars.
La suite de cette triste histoire est ici.
PS : Les gouvernements Sud-Soudanais et Kenyans viennent de signer un MoU en vue de construire un pipe qui passerait sur le sol Kenyan. Les sud-soudanais ne sont pas sortis.
PPS : Le 15 mars 2013, le gouvernement du Sud-Soudan annonce la reprise de la production pétrolière.
11:37 Publié dans Economie, Energies fossiles, Géopolitique, Pétrole | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : soudan, sudan, pétrole, oil, pipeline, china, chine, usa, uk | | del.icio.us | | Digg | Facebook |
27/01/2012
On s'en fout du sous-jacent
Les années 1980 ont vu se produire une révolution passée inaperçue, celle des instruments financiers, ceux qui permettent de spéculer non pas sur une production, mais sur une espérance de production ; ceux-ci ont ouvert la voie à d'autres outils, qui spéculent sur des espérances d'espérances. On peut spéculer sur un cours, sur une option de cours, sur un panier d'espérances... Dans de nombreux cas, les transactions sur les instruments financiers dépendant d'un certain objet, le sous-jacent, dépassent d'un facteur 10 les transactions réelles sur l'objet lui-même. Dans de nombreux cas, les bénéfices réalisés à chaque transaction sur l'instrument financier (2 à 3 %) sont à peine inférieurs à ceux réalisés sur la matière elle-même (4 à 5 %) ; de plus, réaliser une transaction financière ne nécessite qu'un peu de capital, quelques secondes et une seule sorte de savoir-faire ; au contraire, réaliser un bénéfice sur de la matière nécessite énormément de capital, des routes et des lieux de stockage, du temps, et une longue liste de savoir-faire. Le tableau commence à se dessiner ?
Juste un mot d'explication pour être plus clair : autrefois, "spéculer" consistait à acheter un gros stock de coton en balles, ne pas le vendre, attendre que le cours monte, et le revendre à ce moment avec un confortable bénéfice. Comme c'est vilain, bouh, le méchant capitaliste. Hier, spéculer consistait à ne pas acheter ledit stock, mais à promettre de le vendre un jour à un prix fixé : on ne mobilisait donc aucun capital, en revanche, on prenait des risques : si au jour fixé le cours du jour etait très supérieur au cours initialement proposé, on faisait une jolie perte. Mais ça, comme dit la pub, c'était avant.
Depuis le théorème de Black-Scholes (fort controversé il est vrai), les financiers ont non seulement attiré à eux nos étudiants les plus brillants, asséchant brutalement toutes les autres disciplines, mais ils ont généré une collection d'outils qui rendent le processus ci-dessus encore plus brutal. Certains de ces outils portent le nom étrange de "Lettres Grecques" : chacun est identifié par une lettre dite grecque, et s'intéresse à la dérivée première ou seconde de tel ou tel cours, valeur ou instrument. Rassurez-vous, je n'entre pas dans le détail, que je suis loin de maîtriser. Le résultat de ces instruments est que, quel que soit le sens de variation du cours de la matière, il existe un instrument qui permet, soit de réaliser un gain, soit de minimiser ses pertes. Ci-contre l'évolution du GSCI, de sinistre mémoire.
Le travail du trader ne consiste donc plus, comme c'était le cas au siècle précédent, à se renseigner sur la santé de tel ou tel secteur de l'économie, sur la performance commerciale des entreprises, ou sur la météo des pays du tiers-monde pour deviner le prix du cacao de la prochaine récolte. Non, le travail du trader consiste à surveiller son tableau de bord chaque matin afin de procéder aux ventes et aux achats d'instruments afin d'optimiser ses gains et de minimiser ses pertes. Ceci est désormais possible sans jamais se préoccuper des matières réelles qui se trouvent à l'échelon inférieur ; le trader de pointe ignore donc tout de ces matières, ce n'est plus son métier.
Quand en 1849 la ruée vers l'or révolutionna l'économie de la Californie, qui s'est enrichi à cette époque ? Ceux qui creusaient au hasard ? Ceux qui creusaient beaucoup ? Ceux qui avaient la meilleure technique ? Ceux qui espionnaient leurs voisins ? Aucun de ceux-là : ceux qui faisaient commerce de tentes et de pelles. Ils ont compté non pas sur le commerce de la matière elle-même, mais sur son augmentation - qui elle-même se traduisait par une demande accrue en tentes et en pelles.
S'il est une expression politique que j'ai en horreur, c'est bien la "France d'en bas" : elle résume à quel point nos hommes politiques se sentent éloignés des blessures des leurs propres citoyens ; hélas, cette notion est en train de se généraliser : le "sous-jacent" est une expression de science économique qui dit la même chose, et qui l'élève à l'état de principe.
La méta-économie du 21e siècle est donc assise sur des productions bien réelles de biens et de services, mais s'en désintéresse totalement dans un mécanisme pervers. Dès que l'économie réelle a commencé à générer des excédents financiers, la méta-économie s'en est emparée, en générant des bénéfices rapidement élevés ; ces bénéfices ne sont jamais retournés financer l'économie réelle, puisque celle-ci est incapable d'en générer autant ; ils permettent au contraire de générer de nouveaux bataillons de traders, qui eux-mêmes ne produiront ni bien ni service, mais génèreront des bénéfices.
Dans ce nouveau paradigme, on découple production et bénéfices. Au 19e siècle, certains penseurs inventaient la lutte des classes pour le partage des richesses générées par la production. Or au 21e, la production est réalisée ici, et les bénéfices sont réalisés là : cette fameuse lutte n'a plus aucune signification, si tant est qu'elle en eût.
Dans une conception traditionnaliste de l'économie (j'allais dire "capitaliste"), les bénéfices du secteur financier devraient être associés à un service rendu à la communauté, à une valeur ajoutée, très présente dans l'oeuvre de Proudhon et Marx. Ce n'est plus le cas, et nous pouvons jeter nos livres d'économie à la poubelle. Il est révélateur de constater que les colères les plus spectaculaires que nos grands penseurs contemporains manifestent s'attaquent au capitalisme, alors même que celui-ci est en train de disparaître sans que personne s'en rende compte. J'insiste : les plus gros bénéfices encaissés dans la décennie 2000 se réalisent maintenant avec un capital que l'on n'a pas, ce qui est totalement contradictoire avec toute définition du capitalisme.
Le capitalisme, au sens propre du terme, est donc en train de disparaître de sa seule impulsion, ou plus précisément de subir une mutation profonde, mal constatée et non maîtrisée. Au Moyen-Age, qui avait la terre avait le pouvoir ; au 19e siècle, qui avait l'industrie avait le pouvoir ; au 21e siècle, nous avons un nouveau changement, tout aussi brutal et source de conflits.
Car cette révolution, comme toutes les autres, n'est ni comprise ni maîtrisée ; quand certains hommes politiques s'écrient "Mon ennemi, c'est la finance", ils ne font qu'avouer, en capitaine de pédalo, leur incapacité à agir face à une évolution inexorable, déjà en cours depuis 30 ans, et servie par nos meilleurs éléments.
Ainsi nos traders, constitués de nos meilleurs ingénieurs, forts de l'incompréhension générale qui les protège, de la vitesse avec laquelle ils se sont déployés, d'une capacité unique à générer des bénéfices et à s'emparer de ceux de l'économie réelle, peuvent-ils s'écrier, un verre de Champagne dans une main et la clé de leur Bugatti neuve dans l'autre, "On s'en fout du sous-jacent !"
PS : Quelques infos lourdes sur les instruments financiers : Modèle de Black-Scholes, Les Grecques.
17:01 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : finance, bourse, stock market | | del.icio.us | | Digg | Facebook |
20/01/2012
Le cerveau Bayésien, c'est Jack Bauer.
"- Alors, Jack, cette réponse ?
- Je vous demande une minute, M. le Président
- Il me faut une solution maintenant Jack : dois-je décider d'annuler la frappe nucléaire en cours ?
- Juste une minute M. le Président, et je vous donne la solution définitive."
Le paradigme Bayésien (dont je vous ai parlé il y a peu) s'infiltre dans les sciences cognitives comme l'eau d'Evian dans les couches granitiques : il aura fallu quelques milliers d'années, mais un jour ou l'autre, ça vient à la surface. Le problème avec les (nouveaux) paradigmes, c'est qu'ils méritent un peu d'explication. Dont acte.
Imaginez qu'on vous présente un sac de billes. Vous avez (entre autres) la notion de contenant/contenu, et votre outil personnel de reconnaissance de forme vous permet de deviner qu'il y a dans ce sac souple des objets arrondis : dès la première fraction de seconde, votre cerveau s'est emparé de cette vision pour la remâcher à sa guise ; mais oublions un instant ce travail réalisé en tâche de fond pour nous concentrer sur les événements et votre réaction intellectuelle.
La personne qui gère le test plonge alors une main dans le sac et en ressort une bille rouge, qu'elle pose à côté du sac. Vous êtes brièvement absorbé par la vision de cette bille rouge, que vous dépiautez rapidement en taille, couleur, brillance, texture, poids apparent et quelques autres facteurs. La personne plonge à nouveau la main dans le sac, et en sort une deuxième bille rouge, apparemment semblable en tous points à la première, qu'elle pose également. Vous notez également cette bille rouge. La personne recommence, et sort une troisième bille rouge.
A ce moment du test, on est tenté de comparer le fonctionnement des probabilités classique d'une part et bayésienne de l'autre. La probabilité classique indique que la probabilité de tirer à nouveau un bille rouge est de 3/3=100%, donc une certitude totale. L'inférence bayésienne, elle, va plutôt dire que cette probabilité est "très élevée", nous y reviendrons.
La personne pousse alors sur le côté le sac et les billes rouges, et vous présente un deuxième sac, très semblable au premier. Instantanément, vous envisagez qu'il s'agit d'un deuxième sac de billes rouges. La personne plonge sa main dans le sac, et tire une bille bleue. A ce moment du test, la logique bayésienne est perdue : ce résultat infirme la supposition qui vient d'être faite, et induit un véritable trouble. La logique classique, elle, n'est en rien gênée, et considère que la probabilité de tirer à nouveau une bille rouge est de 3/4=75%. Disons momentanément qu'il y a avantage à la logique classique, car toute solution proposée, même erronée, est considérée comme meilleure que pas de solution du tout.
La personne tire alors une deuxième bille : bleue également. Votre cerveau bayésien fonctionne alors furieusement, et génère ou accède un certain nombre de modèles : le modèle "sac de billes", le modèle "sac de billes de la même couleur", le modèle "ensemble de sacs de billes d'une même couleur mais de couleurs différentes" : ces modèles vous permettent de calculer que la probabilité bayésienne que la prochaine bille soit bleue est très élevée ; en revanche, le modèle classique dit toujours que la prochaine bille sera rouge, avec une probilité de 3/5=60%. Notez bien que ces deux calculs contradictoires cohabitent en vous, et que ça ne vous pose aucun problème. L'aide au test plonge une troisième fois la main, et la troisième bille est bleue : la partie bayésienne en vous exulte, mais elle ne se borne pas à cela : non seulement elle accorde un satisfecit supplémentaire à l'étagement de modèles décrit ci-dessus (on aurait dit "+1" chez FaceBook :)), car il a correctement permis de prédire un événement, mais en plus les divers mécanismes qui ont conduit à la création desdits modèles, eux aussi, reçoivent un +1. L'aspect exultation est géré par un minuscule mais notable afflux d'endorphines : la notion de plaisir est indispensable au cerveau bayésien.
Arrive un troisième sac. Votre cerveau classique prévoit que l'on va tirer une bille rouge, ou une bille bleue, avec des probabilités égales de 50%. Votre cerveau bayésien ne prévoit rien du tout, et signale qu'il est urgent d'attendre, car il va proposer une solution à haute probabilité ; à cet instant précis, si votre cerveau était contraint de choisir une solution, il ne disposerait que de la solution classique.
La main plonge dans le sac, et en tire une bille jaune. Instantanément, votre cerveau bayésien annonce : "C'est un sac de billes jaunes !" en précisant que cette prédiction est affectée d'une haute probabilité. L'aide plonge à nouveau la main dans le sac et ressort une bille... jaune. Votre cerveau bayésien exulte à nouveau, et accorde tout un tas de "+1" aux mécanismes ci-dessus, ainsi qu'au mécanisme qui préconise de ne pas faire de prédictions dans certaines circonstances. Votre cerveau classique, lui, s'est pris une tannée ; mais il s'en fout complètement, car lui n'a pas de mécanisme de "+1" ou "-1", pas de libération d'endorphine, rien : le cerveau classique, c'est froid, c'est simple, c'est rapide, mais c'est pas prêt de changer, c'est un week-end au Havre.
Le cerveau bayésien est bien plus aléatoire : on a vu qu'en deux moments, il est incapable de fournir une solution. En revanche, quand il frappe, il frappe juste. C'est que lui, à la différence du cerveau classique, est capable d'apprendre : dans cette expérience, il a appris (ou invoqué s'il la connaissait déjà) la notion de sac de billes, qu'il a ensuite correctement appliquée pour prédire l'avenir. Prédire l'avenir est l'essence de la compréhension, terme qui convient mal à la pensée classique. Le cortex bayésien est exigeant en moyen de traitement de l'information : on a vu que pour sortir une prédiction valable, il a fallu découvrir et stocker la notion de sac, la notion de sac de billes de même couleur, et sans doute bien d'autres éléments qui n'apparaissent pas ici ; tout cela est exécuté en "tâche de fond" comme disent les informaticiens, ce qui n'obère donc pas la pensée consciente, mais exige des moyens de calcul et de stockage de l'information démesurés par rapport à la logique non bayésienne ; on peut donc suspecter toute créature équipée d'un cerveau anormalement développé pour sa taille d'en avoir les capacités.
Cette exigeance en matière de moyens de calcul n'est pas la seule faiblesse du cerveau bayésien, loin de là. Comme il a une énorme capacité à employer l'inférence "sachant que", il va, dans le doute, chercher furieusement tous les événements passés qui pourraient avoir une relation avec la question posée ; notons qu'à chaque fois qu'il infère sur un événement passé, il va augmenter ou diminuer la valeur de la probabilité annoncée ; il va également retarder le moment de rendre son verdict. C'est pour cette raison qu'un cerveau bayésien annonce des probabilités de survenance "molles", car résultat d'un nombre éventuellement élevé de calculs d'inférence. Le cerveau bayésien propose donc rarement des solutions absolument sûres, il se contente fréquemment de "raisonnablement sûr". On peut même imaginer que, au bout d'un certain nombre d'inférences, si le résultat atteint une valeur supérieure à un seuil donné (caractéristique de l'individu), il arrête ses calculs et offre sa réponse.
S'il ne trouve rien de déterminant, il va empiler les échecs de ses recherches pour aboutir à une plausibilité très faible de sa réponse : il fait de l'auto-censure, situation extrêmement grave pour un décisionnaire. Mais ce n'est pas tout : s'il manque de clairvoyance (entendez : capacité à reconnaître si telle ou telle bribe de connaissance a vraiment un rapport avec le sujet), il ne saura jamais trouver la bonne solution, alors même que le cerveau voisin, doté des mêmes souvenirs, mais ayant mieux géré les attributs, saura rapidement élaguer l'information inutile, et saura donc aboutir à une réponse plus plausible, et plus vite. Bayésien c'est puissant, mais c'est difficile à régler : c'est une après-midi en Ferrari. Enfin il y a d'autres soucis attachés à cette méthode, dont nous parlerons... plus tard :).
Ainsi le cortex bayésien montre à la fois sa performance, et ses faiblesses : alors que le cerveau classique fournit des réponses en toute circonstance, avec une adéquation à la réalité de qualité très variable, le cerveau bayésien est parfois incapable de fournir une réponse, ce qui est grave ; ce point à lui seul explique pourquoi le cerveau au cours des âges a conservé la logique classique, sur laquelle il peut se rabattre en cas de défaillance du bayésien. En revanche, l'adéquation des réponses du bayésien à la réalité, quand il en fournit, est meilleure ; mieux encore, il est fréquemment capable de se noter lui-même, c'est-à-dire d'attribuer une plausibilité à sa propre prédiction. Enfin il est capable de conseiller, et même de proposer une action en vue d'augmenter la plausibilité de ses déductions. Le cerveau bayésien, c'est Jack Bauer, y compris le téléphone portable.
Plus d'info sur Wikipedia :
Inférence bayésienne , théorème de Bayes.
NB : Marble bags courtesy of Flowerpress.
17:09 Publié dans Ethologie humaine appliquée, Futur | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cognitive, bayesian, cortex, decision making, compute | | del.icio.us | | Digg | Facebook |