15/05/2011
DSK, un coupable en or.
Aujourd'hui nous ignorons presque tout sur la récente affaire DSK, dans laquelle ce dernier est accusé d'agression sexuelle sur une employée d'hotel. C'est donc le moment ou jamais de céder à notre péché mignon, et de faire des pronostics.
Que DSK soit coupable ou non des faits qui lui sont reprochés importe peu ; car même s'il arrive à prouver sa bonne foi, cela va lui prendre tellement de temps, d'argent et d'énergie qu'on doute dès maintenant de sa capacité à se présenter à l'élection présidentielle de 2012, plus encore à la remporter - alors même que tous les sondages le donnaient gagnant depuis plusieurs mois. En un sens, si cette affaire est la conséquence d'une machination, celle-ci a d'ores-et-déjà réussi.
En sommes-nous sûrs ? Pas tout-à-fait. Faisons un petit retour sur la culture américaine.
Celle-ci, on le sait, présente une curieuse hypocrisie vis-à-vis du sexe en général, et des affaires de litige sexuel en particulier. Souvenons-nous que l'industrie du procès est plus que florissante aux USA, elle est carrément resplendissante. Alors que dans notre beau pays, les avocats ont l'interdiction de faire de la publicité pour leur société, aux USA il est courant, et considéré comme normal, qu'un avocat, mis au courant d'un accident de la circulation, se précipite pour proposer à la victime ou ses ayants-droits de faire un procès à SES frais, en échange de 50% des indemnités - ceci aussi est interdit chez nous. Ainsi, l'activité qui concerne à rechercher systématiquement un plaignant est une industrie, encore une fois, avec pignon sur rue.
De là à provoquer un événement litigieux, il n'y a qu'un pas : là aussi, les américains savent faire. Rappelons qu'un pauvre cliente d'une société de malbouffe que je ne nommerai pas, ayant acheté un café à un drive-in et se l'étant intelligemment répandu sur les cuisses, avait obtenu plusieurs centaines de milliers de dollars d'indemnité. Vous avez dit jackpot ?
Maintenant mettez-vous à la place d'une femme de chambre d'un hôtel de luxe de Manhattan, qui gagne vraisemblablement un peu plus que le SMIC. Un avocat, jeune, beau et souriant, vient lui proposer de gagner 1 million de dollars, avec les éléments suivants :
- il n'y a aucun risque pour elle : c'est parole contre parole, et la cible a déjà une mauvaise réputation
- un million de dollars tout de suite, mais déposé sur un compte spécial afin d'éviter qu'elle roule en Ferrari le lendemain
- au cas où il y aurait un souci, cette firme (réputée, honorablement connue du public américain) s'engage à prendre en charge la totalité des frais de procès, y compris l'amende si nécessaire. Il y aura même un bonus si le procès tourne mal.
Vous répondez quoi ?
Tout cela est connu, classique, intégré dans la culture américaine. Vous pensez bien que le juge de New York, à qui on a confié cette affaire, le sait mieux que personne. Alors ?
Faisons un nouveau retour : pourquoi New York justement ? Et comment se fait-il que le New York Post se soit jeté sur cette information aussi vite devant ses concurrents ? Le juge new-yorkais, quel qu'il soit, et quelles que soient ses convictions, aura une chance unique de condamner un prévenu évident en grande pompe médiatique, ce qui ne peut que lui apporter plus de votes, puis de l'envoyer se faire pendre ailleurs - tout bénef.
Le New York Post, au niveau contenu, c'est un peu entre France-Soir et Minute - désolé si j'évoque des souvenirs disparus, mais je crois que nous n'avons pas (plus ?) l'équivalent en France. Le Parisien, à côté, est un parangon de déontologie et d'exhaustivité. Pourquoi et comment ce journal a-t-il été aussi rapide dans l'exploitation de ce fait divers (l'élection présidentielle française, aux USA, est un non-événement) ?
Tous les gens ordinaires qui ont voyagé un peu plus que les autres savent que, dans un pays qui n'est pas le sien, des précautions sont à prendre ; elles varient de pays à pays. Au Japon, au Niger, au Brésil, on prendra des mesures différentes. Mais quel que soit le pays, quand on sait qu'on est une cible, il n'est pas bien compliqué de
- fermer sa porte à double tour
- déposer sa valise, non pas sur le vilain meuble bas prévu à cet affet, mais en travers du seuil de la porte. De cette façon, toute personne tentant de s'introduire frauduleusement dans la chambre en prétendant croire qu'elle est inhabitée aura quelques difficultés à justifier son intrusion. Et cela laisse les 20 secondes nécessaires pour appeler à l'aide, chose que DSK aurait dû faire en tout état de cause.
- changer fréquemment d'hôtel.
Dans un hôtel moderne, TOUS les mouvements de serrure sont enregistrés ; ainsi, si la plaignante s'est introduite - à tort - dans une chambre fermée de l'intérieur, cette information figure dans un fichier. Ou pas : car cela aussi, tout le monde le sait.
On souligne deux choses :
- que DSK soit coupable ou pas des faits qui lui sont reprochés, il s'est comporté avec une légèreté qui sied mal à un futur candidat à la magistrature suprême, et à quelqu'un déjà reconnu coupable de faits du même domaine.
- s'il n'est pas coupable, il lui sera possible de faire appel à des agences spécialisées qui vont mettre en évidence la machination ; cette opération, si c'en est une, a forcément nécessité une organisation locale, et les gens payés pour mentir peuvent être payés pour révéler qu'ils l'ont fait. Mais ces agences, à la mode américaine, coûtent cher : des millions de dollars par SEMAINE. DSK a-t-il ce genre de ressource ? Bien sûr, ce genre de situation attire toutes sortes de personnes, dont certaines sont en mesure de faire un ou plusieurs chèques de 10 millions de dollars. Mais qui va miser 10 millions de dollars sur cet ex-favori devenu outsider en un jour par sa seule négligence ?
Que DSK soit coupable ou pas, l'image internationale de la France est brutalement renvoyée à la page des faits divers ; c'est une très mauvaise affaire pour les Français. C'est une mauvaise affaire pour l'Euro-zone, une mauvaise affaire pour les socialistes français... Finalement, la liste des béficiaires semble assez courte.
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02/05/2011
Tuez Ben Laden !
"Coulez le Bismarck !" s'était écrié Churchill. En cette année 1941, tout va mal pour l'Empire britannique : le continent est aux mains des Nazis, les puissances de l'Axe progressent partout, le grand frère américain refuse de se laisser entraîner dans cette guerre qui n'est pas la sienne - en se souvenant du Lusitania - le Royaume-Uni ne résiste plus que par quelques fils ténus et une chance divine. Et par-dessus tout cela, ce navire furtif, tricheur, qui abuse de sa puissance non pas pour affronter glorieusement la Home Fleet, mais pour couler des convois entiers de marchandises dont l'Angleterre a un si urgent besoin.
"Coulez le Bismarck !" Ce cuirassé est tout neuf : issu des célèbres chantiers navals Blohm & Voss à Hambourg en 1939, il incarne l'énorme supériorité industrielle et technologique de l'Allemagne, il défie chaque jour la Navy britannique que chacun croyait invincible, il pése sans cesse sur les armateurs privés qui refusent de plus en plus de livrer vers l'Angleterre.
Car cette période est troublée : qui a raison ? Les Nazis, qui incarnent l'ordre et une inhumaine clarté ? Les Russes, qui prétendent détenir la volonté du peuple ? Les Anglais, grands théoriciens de tout mais apparemment propriétaires de rien ? En 1941, des tensions énormes s'appliquent sur les vieilles alliances, les vieilles croyances, les vieilles défiances. C'est l'époque où certains américains croient en la doctrine Nazie, en alimentant l'Allemagne en pétrole, l'époque où Staline et Hitler, évidents ennemis, s'allient pour s'éviter des soucis. Tout peut basculer d'un côté ou de l'autre. Et ce navire, qui seul, hante les mers et les cauchemars de Churchill...
"Coulez le Bismarck !" Rayonnant, victorieux, son seul nom suffit à mobiliser tout un peuple ; bien au-delà d'une supériorité navale, il est devenu une force morale, politique, charismatique - et même diplomatique : si la Navy britannique est incapable de s'en défaire, quel Américain va souhaiter s'engager dans cette guerre inutile ?
Mais qui a crié :"Tuez Ben Laden" ? Ancien agent américain, promu super-méchant par l'administration Bush, Ben Laden a d'abord et avant tout été rejeté par sa propre famille, très proche de la famille royale Saoudienne, de loin la famille la plus riche du monde. Cette famille, déjà éprouvée par la prise de la mosquée de La Mecque, ne souhaite qu'une chose : le soutien continu de la première puissance mondiale, mis à mal par ce rejeton indocile. Car ce mouton noir ose se réclamer de Dieu, et lancer une fatwah sur l'envahisseur infidèle qui a pris pied sur la péninsule sacrée.
Qui a crié : "Tuez Ben Laden" ? L'administration Bush, surchargée de connivence pétrolière, grande consommatrice de pétrodollars, a-t-elle cédé à l'inquiétude saoudienne ? A-t-elle trouvé en Ben Laden un bien pratique méchant, grand justificateur de tous les excès totalitaires ? L'administration Obama, connue pour son immense pragmatisme, a-t-elle négocié les explications du criminel contre des avantages en votes républicains à venir prochainement ? L'administration Clinton, qui a étrangement géré le phénomène Ben Laden, qui comme Bush a été contactée par Obama avant son discours ?
"Justice has been done" : Barack Obama, avocat américain bien avant que d'être président ou prix Nobel de la paix, sait mieux que personne que la justice consiste à démontrer la culpabilité du prévenu, connaître et comprendre ses motivations, évaluer les circonstances du crime, et rendre un arrêt public. Et non pas une simple mise à mort, comme Lee Harvey Oswald a été bien commodément assassiné par Jack Ruby. Aussi ces mots dans sa bouche prennent-ils une signification particulière.
C'est le printemps, mais parfois on songe à un chant d'automne.
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