29/01/2011
Le cri et la contrainte
Au Maroc, la hchouma fait merveille ; ce sentiment, mélange de honte et de conscience du poids de l'entourage, est instillé aux enfants dès leur jeune âge, il les convainc qu'il est des limites à ne pas franchir, et mieux que cela, il les amène à se juger eux-mêmes, et à se condamner, quand ils les franchissent. Mieux encore, au simple mot de "Hchouma !", une sorte de canal privilégié s'ouvre dans l'esprit de l'enfant, sans qu'il puisse s'y opposer, et le punit instantanément, avec son propre accord. La Hchouma est l'accès privilégié que se crée la société au sein du système moral de l'individu ; c'est aussi un sytème d'auto-censure pour les individus trop entreprenants.
Au Japon, c'est plutôt Shikata ga nai : "On ne peut rien y faire", le sentiment de résignation face à tel ou tel comportement de la société à l'encontre de l'individu. Faisant moins appel aux émotions, ce sentiment n'en reste pas moins implacable dans son application. C'est généralement l'individu victime de la pression externe qui le prononce lui-même, on est à nouveau dans le registre de l'auto-censure.
En France, le sentiment de honte est lui aussi systématiquement instillé dans le cadre d'un jugement moral ; et c'est là aussi l'individu qui s'inhibe et se punit lui-même.
Ces trois caractéristiques, sont à la fois différentes, traduisant la distance entre les cultures, mais atteignent un même but : faire en sorte que l'individu identifie le cadre, l'ordre et la discipline propres à la société qui l'abrite ; le contraindre à accepter ce cadre ; faire en sorte qu'il se punisse lui-même en cas de transgression, ce qui achève de rendre cette règle extrêmement performante. Ce mécanisme est indispensable à toute société constituée de caractères variés et riches, puisque chaque individu, laissé à lui-même, aura tendance à réécrire des règles de morale qui lui seront propres, rendant impossible la gestion du groupe. Il s'agit donc d'un maillon essentiel aux espèces grégaires multi-caractérielles.
Au cas où ce mécanisme mental serait poussé à son extrémité, il est clair qu'il aboutirait à une totale inhibition de l'individu, craignant trop d'outrepasser telle ou telle limite ; ces mêmes sociétés ont donc inventé des antidotes à ces poisons de l'action, tels le gaman japonais (accepter et supporter), ou la résilience chère à Boris Cyrulnik (renaître de sa souffrance). Comme beaucoup de choses dans l'esprit humain, nos initiatives sont donc bridées ou libérées selon l'endroit où se trouve le curseur. Toute société a besoin d'ordre pour vivre, et d'initiatives pour affronter l'avenir ; elle doit trouver le délicat équilibre entre le cri de l'individu, dont les capacités ne bénéficient au groupe que s'il les révèle, et la contrainte du groupe, garante d'un ordre immémorial.
02:30 Publié dans Ethologie humaine appliquée | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook |
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