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16/11/2012

Hirondelle à tiroirs

Une hirondelle ne fait pas le printemps, et l'IEA (Agence Internationale de l'Energie) encore moins. Sa déclaration fracassante de ce mois-ci, selon laquelle les Etats-Unis verront leur production nationale d'hydrocarbures augmenter jusqu'à les rendre auto-suffisants en 2035 donne envie de hausser les épaules - au mieux. A y regarder de plus près, il faut se souvenir que l'IEA n'est en rien une agence de prédiction (elle aurait fait faillite depuis longtemps), et encore moins un repaire de spécialistes engoncés dans leur technocratie : c'est un repaire d'acheteurs et de lobbyistes.

La politique internationale des Etats-Unis est influencée par la libre disposition du pétrole dans le monde depuis les années 1930 : d'abord un simple atout industriel et financier, le pétrole est devenu à partir de 1938 et le premier embargo pétrolier sur le Japon une arme de domination, au point de déclencher la Guerre du Pacifique à lui seul. Aujourd'hui, même si beaucoup de choses ont changé, les Etats-Unis souffrent toujours d'une dépendance au pétrole qu'ils n'ont fait qu'entretenir, longtemps persuadés qu'ils étaient bénéficiaires nets de cette dépendance.

Mais quelque chose a changé aux alentours du 11 septembre 2001, au point que le président américain de l'époque a déclaré un peu plus tard "America is addicted to oil", contatant amèrement que son pays commençait à payer cher la richesse de certains (qui elle-même avait contribué à son élection). Je rappelle que le 21e siècle sera non pas le siècle de l'esprit ou toute autre chose romantique, mais le siècle des contradictions.

Pourtant les vieux mécanismes, bien ancrés dans la nature et la culture des peuples, ne peuvent évoluer bien vite, et la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient ne pouvait changer du jour au lendemain. Aussi cette région du monde resta-t-elle inféodée à l'insécurité et la désunion qui rendent le contrôle des flux pétroliers bien plus aisés pour l'occident en général et les Etats-Unis en particulier.

Dix ans plus tard, les choses changent lentement : l'Occident, durement secoué par une crise financière qu'il a entièrement causée, est contraint de revoir les choses à la baisse. Revoir quoi ? Eh bien, tout, à vrai dire. Revoir les revenus, les budgets militaires, les capacités de projection, et même, horreur suprême, les consommations. La doctrine militaire étatsunienne était jusqu'à maintenant imprégnée de la notion "Deux guerres et demi" : les Etats-Unis avaient les capacités diplomatique, militaire et financière d'entretenir deux guerres et demi dans le monde. Ce ne sera bientôt plus le cas. Mais où vont-ils acheter leur pétrole dans ces conditions ?

Les progrès techniques permettant d'améliorer la production d'hydrocarbures continuent de se faire jour ; la fracturation hydraulique, entre autres, a permis d'accéder à des réserves de gaz qui jusque là ne présentaient pas d'intérêt économique. Il paraît douteux que cette technique, une fois appliquée aux liquides et non plus au gaz, améliore de façon aussi spectaculaire les productions de pétrole brut ; mais passons : l'idée est bien que, année après année, les améliorations techniques continuent d'augmenter les réserves prouvées à périmètre constant, le Bakken en est un exemple de taille mondiale. Ce n'est en rien une surprise pour les spécialistes ; en revanche c'est bien la première fois que l'on prétend que ces améliorations, en principe valables dans tous les pays, vont favoriser les Etats-Unis en tête.

Rappelons-nous alors la spécificité bien américaine qui a conduit à une fantastique expansion du secteur pétrolier : le propriétaire du sol est également propriétaire du sous-sol, et chaque particulier a donc un intérêt financier évident à ce qu'on fore sous son jardin. Pourtant, on voit mal comment une unique technologie nouvelle pourrait renverser un processus historique  installé depuis 1970, à savoir le déclin de la production nationale américaine ; non seulement le renverser, mais permettre d'atteindre de nouveaux sommets.

C'est que l'IEA s'est enfin préoccupée d'une chose pourtant évidente : les hydrocarbures sont devenus interchangeables : gaz, pétrole, charbon, sables bitumineux, toutes ces sources finissent par s'agrèger, et l'on va tellement augmenter la part du gaz et du charbon dans l'avenir que les besoins en pétrole proprement dit vont stagner - à vrai dire, ils stagnent depuis dix ans, et l'IEA vient de l'admettre.

On a donc une sorte de cercle vertueux pour les Etats-Unis : moins de ressources financières, stagnation possible de la consommation de liquides, recours à des sources nationales un peu plus disponibles, tout cela indique une dépendance décroissante des Etats-Unis vis-à-vis du pétrole importé, et principalement du Moyen-Orient. Eh oui, j'ai bien employé le terme "décroissance" en parlant des Etats-Unis.

L'interventionnisme étatsunien au Moyen-Orient va-t-il pour autant cesser ? Certainement pas tout de suite, en diplomatie rien n'est instantané. En revanche, il est probable que nous verrons une décroissance lente de celui-ci, que l'on peut déjà constater par petites touches.

La nature a horreur du vide, les diplomates encore plus : avec la réduction lente mais annoncée de l'influence américaine au Moyen-Orient, qui va prendre la place ? Certainement pas la vieille Europe, plus désunie et inefficace que jamais. Alors il ne reste que... la Chine ? Vous savez, ce pays qui vient de se doter d'un nouveau président, ingénieur en génie chimique ?

La Chine apprécie autant la diplomatie à haute performance (DHP) qu'elle abhorre l'interventionnisme coûteux. Elle n'a pas non plus la même sensibilité que les Etats-Unis vis-à-vis d'Israël. Elle est historiquement absente de cette région, et elle a déjà fait d'autres choix, particulièrement en se tournant vers l'Asie centrale. Alors qu'une voie royale s'ouvre devant elle, il ne me paraît pas exclu qu'elle se donne un peu de temps avant d'aller mettre le doigt dans cet engrenage, alors qu'elle n'a toujours pas réglé sa domination sur son environnement immédiat. Les divers printemps arabes, qui pointent eux aussi vers un nouveau brassage des cartes, brillent par l'absence d'intervention des divers services secrets, d'où qu'ils viennent : en fait personne n'a de solution.

L'IEA et son message pétrolier n'annoncent donc pas grand-chose sur un plan industriel, en revanche il semble que les multiples forces à l'oeuvre au Moyen-Orient voient leur acteur majeur fatigué de la partie. Même un mauvais arbitre vaut mieux que pas d'arbitre du tout.

17:14 Publié dans Economie, Energies fossiles, Géopolitique, Pétrole | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook |